Le piège serait au Sahel d’attendre la fin de la crise pour envisager l’avenir, particulièrement celui de la jeunesse. Cette volonté de s’inscrire dans le nexus sécurité-développement doit guider nos choix de partenariats avec le reste du monde qui ne sauraient reposer sur un agenda exclusivement sécuritaire.
Toutes les études récentes convergent vers cette même conclusion : au Sahel, le premier véhicule de l’enrôlement des jeunes dans les groupes djihadistes n’est ni l’idéologie, ni la religion. Le terreau favorable sur lequel prospèrent les activités criminelles est nourri par l’absence de développement, le chômage des jeunes, le besoin d’une présence plus effective de l’Etat. Une offre de partenariat, comme celle de la Russie, qui ne repose que sur l’agenda sécuritaire, ne s’inscrit pas dans la durée. Le Sahel a besoin d’un partenariat qui ouvre les portes des universités à sa jeunesse et qui favorise l’intensification des échanges interuniversitaires. Ce qui suppose des facilités pour l’obtention des visas pour les étudiants africains. C’est à cela que s’est engagé le président français Emmanuel Macron le 27 février dernier lors de la présentation de sa « nouvelle politique africaine ».
Contrairement à une idée de plus en plus reçue, véhiculée par le raccourci de l’existence d’un « sentiment anti-français », les jeunes sahéliens rêvent encore d’étudier à la Sorbonne, à Sciences Po Paris, à l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ)de Lille. Leur avenir ne s’écrit donc pas seulement avec des AK 47 et des MIG. Ils ont surtout besoin de formation professionnelle et technique pour ne pas céder aux sirènes des marchands d’illusions.
Le partenariat durable que le Sahel attend, c’est celui qui va renforcer les échanges scientifiques entre la région et le reste du monde et permettre ainsi que de jeunes sahéliens puissent atterrir dans des institutions scientifiques de renommée mondiale comme la Nigérienne Fadji Hassan Maïna, chercheuse en Hydrologie à la NASA. Ce dont le Sahel et l’Afrique de façon générale ont le plus besoin, c’est soutenir l'excellence scientifique africaine : celle du Centre de crise africain, celle de l'Institut Pasteur de Dakar, ou encore celle de l'Institut national de recherche biologique du professeur congolais Muyembe, mais aussi l’appui au développement des centres de production de vaccins en Afrique du Sud, au Rwanda et dans plusieurs autres pays
Défi du changement climatique
Au Sahel plus qu’ailleurs, le changement climatique est un défi du quotidien que l’urgence sécuritaire ne doit pas nous faire oublier. Selon le Rapport national de la Banque mondiale sur le climat et le développement (CCDR en anglais), publié à la fin de l’année 2022, au moins 13,5 millions de personnes supplémentaires pourraient basculer d’ici à 2025 dans la pauvreté au Sahel, du fait des chocs climatiques. Le changement climatique est de toute évidence un défi commun entre la région sahélienne, voire entre l’Afrique, et d’autres régions du monde dont l’offre de partenariat dépasse largement l’agenda sécuritaire. Les effets du changement climatique exacerbent l’insécurité alimentaire au Sahel, en raison d'une production agricole dépressive, avec, entre autres conséquences, la hausse des prix des produits de première nécessité, sur fond de crise sécuritaire. L’équation de la sécurité alimentaire au Sahel s’est nettement aggravée en 2022 du fait de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En effet, l’Afrique a été la plus grande victime de la pénurie des engrais et de la flambée des prix des céréales, particulièrement le blé. A cet égard, aucune offre de coopération qui ne prendrait pas en compte les urgences imposées par le contexte sahélien ne saurait avoir valeur d’alternative crédible. Il ne fait même guère de doute que le choix judicieux, c’est celui qui anticipe déjà la fin de la crise sécuritaire et qui ouvre d’autres horizons aux jeunes sahéliens que les armes, les drones, les hélicoptères de combats ou de transports de troupes. Nous avons besoin des partenariats qui soutiennent l’entreprenariat africain et qui construisent des ponts entre les diasporas africaines et les pays d’origine.
Nouveau partenariat
Au Sahel, agir aujourd’hui pour préparer l’avenir, c’est dessiner les contours d’une nouvelle relation avec le reste du monde, débarrassée des oripeaux du passé et qui ne repose pas que sur la diabolisation des autres, ni même sur un partenariat exclusif fondé sur les promesses d’une lutte antiterroriste forcément meilleure. Nous avons plutôt besoin d’un type de partenariat contribuant à la construction d’une nouvelle gouvernance financière internationale, davantage axée sur les investissements gagnant-gagnant que sur les aides. Parmi les urgences, la construction d’infrastructures pour désenclaver les pays sahéliens. Quatre pays sur les cinq Etats que compte le G5 Sahel ne disposent pas de façade maritime : Burkina Faso, Mali, Niger et Tchad. Ce constat suffit à lui seul à disqualifier tout partenariat dont l’unique agenda serait sécuritaire et militaire. Pour les Sahéliens, l’enjeu principal est donc de définir les besoins exacts de leurs partenariats et le profil des partenaires les plus aptes à s’associer à ces défis de l’avenir, surtout celui de la jeunesse de la région. Soulignons à cet égard que le statut de partenaire idéal et privilégié ne s’obtient pas à coups de propagande mensongère relayée à grands renforts sur les réseaux sociaux, avec des campagnes de fakenews et encore moins au moyen d’un travestissement du panafricanisme.
Seidik Abba, journaliste-Ecrivain, auteur de Mali/Sahel : Notre Afghanistan à nous ? (Impacts Editions, 2022)