Le régime issu de deux coups d’Etat entre août 2020 et mai 2021 va-t-il se retirer début 2024, à l’issue d’une période de transition, conformément à ses engagements ? Après le report du référendum sur la nouvelle Constitution et les tergiversations observées dans les coulisses du pouvoir, nombre de Maliens et d’observateurs commencent à en douter. Jusqu’où peut aller l’état d’exception au Mali ?
Il y eut le premier coup d’Etat du18 août 2020 qui se conclut par le reversement – la mise en scène d’une « démission » - du président Ibrahim Boubacar Keïta, au pouvoir depuis 2013 et fortement contesté par les forces de l’opposition au cours des mois précédents. Après la mise en place d’un Comité national pour le salut du peuple (CNSP), le colonel Assimi Goïta, à la tête dudit comité, est promu chef d’Etat. Sous la pression de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui exige un calendrier de transition et la constitution d’un gouvernement avec un président et un premier ministre civils, l’ancien militaire Bah N'Daw devient président de la transition, flanqué d’Assimi Goïta comme vice-président, en charge spécifiquement de la défense et la sécurité. La transition est prévue pour une durée de dix-huit mois.
Toutefois, quelques mois plus tard, le 24 mai 2021, un nouveau coup d’Etat intervient sous la houlette d’Assimi Goïta qui se hisse au sommet de d’Etat. Un « coup d’Etat dans le coup d’Etat » commente-t-on alors, destiné, selon ses auteurs, à « rectifier » les orientations de l’Exécutif. La junte adopte un discours « révolutionnaire » où les concepts de la souveraineté et du panafricanisme tiennent lieu de programme politique. S’ensuit une longue séquence de tensions entre le nouveau pouvoir malien et la Cédéao marquée par de tumultueuses négociations sur la durée de la transition et les lourdes sanctions adoptées par l’organisation régionale contre le putsch, sur la base de sa charte et ses règlements. Il aura fallu plusieurs sommets de chefs d’Etat de la région et moult pourparlers pour aboutir à un accord portant sur une transition d’une durée de 24 mois, à compter du 26 mars 2022. Un compromis relatif dans un contexte où certains représentants de la junte n’ont pas hésité à évoquer une possible transition de… cinq (5) ans. Un arrangement qui aura permis la levée des sanctions de la Cédéao, avec la promesse d’un retour véritable à un « ordre constitutionnel normal ».
Propagande politique et contraction des espaces de liberté
Depuis, il s’en est passé des choses. Le régime de transition, outrepassant les prérogatives propres à son essence, a initié une transformation significative des orientations régaliennes, notamment dans les domaines de la diplomatie et des principes constitutionnels régissant les rapports entre les pouvoirs et la population. Dans ce contexte, l’on a assisté au fil des mois à une contraction des espaces de liberté – en particulier la liberté d’expression -, ce qui a drastiquement éloigné le Mali du champ démocratique. A cet égard, en février 2023, dans sa déclaration de fin de mission, l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali, Alioune Tine, indiquait : « Au-delà des violations et atteintes aux droits humains liées au conflit armé, j’exprime mes sérieuses préoccupations par rapport au rétrécissement comme peau de chagrin de l’espace civique, de la liberté d’expression et d’association et le développement de l’autocensure. Je suis sérieusement préoccupé par les attaques et le lynchage médiatique contre les défenseurs des droits humains, qui n’épargnent même pas la Commission Nationale Droits de l’Homme… » Enlèvements et emprisonnements de journalistes, opposants contraints à l’exil, intimidations et campagnes de déstabilisation et de dénigrement à l’encontre des mouvements de l’opposition et des voix jugées discordantes… Le tout sur fond de propagande vantant les hauts faits du régime et de son peu disert dirigeant pourtant présenté comme le conducteur d’une « révolution » aux destinations nébuleuses.
Toujours est-il qu’à moins d’un an avant la fin de la transition, les matins radieux promis par ce régime se font toujours attendre, et rien n’indique pour l’heure que les Maliens pourraient, au terme de cette si longue transition, chanter les miracles du progrès social et de la normalisation de la situation sécuritaire. En ces domaines, tous les voyants sont au rouge. Dans un éditorial du 11 avril 2023 intitulé « Les Maliens sont à bout de souffle et les autorités n’en sont pas conscientes », le site malien d’information, L’alternance, écrit : « Au-delà de la propagande, du populisme et du tintamarre, à renforts de slogans dits patriotiques, les maliens ne voient guère les signes de la grande promesse d’un Mali koura (Nouveau Mali, ndlr), le Mali et les Maliens sont à bout de souffle et ils ne se battent aujourd’hui que pour leur survie (…) Aujourd’hui, tous les secteurs sont affectés par la crise, l’éducation, la santé, la culture, l’art, l’économie. Le hic est que malgré toutes ces difficultés, les autorités ne semblent nullement pas être angoissées et tout porte à croire que le serment de rendre le pouvoir à la date échue ne serait pas respecté. Bref toutes les promesses d’un Mali vertueux sont renvoyées aux calendes grecques si elles ne sont pas tout simplement bafouées… »
Transition à durée indéterminée
Qu’en est-il alors du calendrier électoral à un an de la fin officielle de la transition ? Attendu le 19 mars 2023, le référendum sur le projet d’une nouvelle Constitution initié par le pouvoir a été reporté sine die. Ce projet de Constitution dont un certain nombre de dispositions sont contestées par des partis politiques et organisations de la société civile, est par ailleurs considéré comme une « anomalie »par une partie de l’opinion qui estime qu’une telle initiative ne relève pas des prérogatives d’un régime de transition, qui plus est issu d’un putsch. Toujours est-il que l’organisation de ce référendum qui devait sonner le point de départ d’un retour à une situation institutionnelle ordinaire, semble avoir du plomb dans l’aile. Selon les autorités, une nouvelle date serait fixée « très prochainement » et ce, « après concertation avec l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE) et l’ensemble des acteurs du processus électoral ». Notons au passage que l’AIGE est, elle aussi, contestée pour sa composition jugée bien trop « inféodée au pouvoir ».
En tout cas, le doute grandit, quant à la capacité ou la volonté du régime aux deux putschs de créer les conditions du retour d’un pouvoir civil dans les délais convenus, en février 2024. Il faut dire que le programme proposé par l’équipe de la transition est particulièrement ambitieux :réforme de la loi électorale, réforme territoriale, organisation d’un référendum constitutionnel, puis de six scrutins, des généraux au présidentiel… Un programme présenté sous le sceau d’une « refondation de l’Etat malien » bien difficile à envisager le temps d’une transition. Sauf à confondre un putsch avec l’éternité…
Bien au-delà des difficultés techniques évoquées par le pouvoir pour engager le processus électoral et celui de la normalisation constitutionnelle, ce qui inquiète le plus, ce sont les discours, et tous les actes qui s’apparentent à des manœuvres dilatoires tendant à asseoir durablement un pouvoir issu de deux coups d’Etat. Comment comprendre notamment que le projet de Constitution censé être soumis à référendum le 19 mars 2023 n’ait été transmis au chef de l’Etat, Assimi Goïta, que fin février ? Par ailleurs, l’activisme diplomatique des dirigeants, marqué par la primauté des liens avec la Russie, les couplets anti-occidentaux et une tentation de remise en cause de l’orthodoxie des relations avec les instances de l’Onu pourraient obliger le pouvoir malien à inscrire son logiciel dans un temps long. Le régime d’Assimi Goïta en viendrait donc à accréditer, à son corps défendant, ce soupçon : celui de vouloir faire d’un État d’exception un mandat ordinaire n’émanant d’aucune élection. Alors que les discours « révolutionnaires » et autres mantras populistes servent à faire accroire une légitimité artificieuse, ceux qui sont actuellement aux commandes de l’Etat malien cèderont-ils à la tentation d’une transition à durée indéterminée ?
La pire des réponses aux justes revendications
Eu égard à cette hypothèse, le gouvernement devra répondre à cette question de plus en plus têtue : quel projet politique pour changer la vie de citoyens de plus en plus précarisés ? Qu’en est-il des projets de développement, des programmes économiques, des projections indispensables pour l’éducation, la santé ? Sans compter la problématique sécuritaire que les seuls discours officiels et le contrat tapageur avec les mercenaires de Wagner ne parviennent pas à résoudre. Face à une polycrise, les dirigeants maliens semblent surtout préoccupés par la gestion de leur agenda politique exclusif.
Mais il faut bien constater que ce pouvoir sait compter sur une partie de la population littéralement fanatisée, imprégnée des discours et slogans prétendument « souverainistes ». Notamment, une jeunesse qui se dit déçue de la classe politique civile, qui se détourne de l’horizon démocratique et affirme vouloir « essayer autre chose que la démocratie », sans même chercher à appréhender la nature de cette « autre chose ». Est-ce donc la démocratie qui fut en cause, ou les errements des acteurs politiques ayant failli, par le passé, dans la conduite des affaires de l’Etat ? Est-ce seulement raisonnable de mettre en procès l’idéal démocratique du fait des égarements de ceux qui, une fois élus, n’ont pas tenu les promesses de leurs professions de foi ?
Si, face à des situations délétères, les coups d’Etat furent parfois considérés comme « salutaires », ils n’en demeurent pas moins la pire des réponses à de justes revendications. En cela, ils ne sauraient être qu’une brève séquence dans l’histoire d’un pays, sans jamais se muer en une norme établie. Aujourd’hui, les thuriféraires du pouvoir malien issu d’un putsch s’activent à faire d’une exception une règle. Ils voudraient asseoir l’idée selon laquelle la permanence de l’anomalie devient porteuse d’improbables espérances. Ceux-là mentent sans répit etsans vergogne. Et ils le savent. Politiciens opportunistes, influenceurs véreux, hérauts fanatisés d’une russophilie crapuleuse, vidéomen assermentés, insulteurs professionnels postés sur les miradors des réseaux sociaux, trolls échevelés… Ainsi se présente l’armée desfunestes aventures des temps actuels.
Francis Laloupo
Journaliste, Essayiste
Enseignant en Géopolitique