Dans un contexte où les campagnes de désinformation et les choix problématiques de coopération militaire ne parviennent pas à masquer la réalité des avancées des groupes terroristes, comment renouer avec l’essentiel, à savoir la mise en œuvre de stratégies globales et efficientes de lutte contre l’extrémisme violent ? La guerre de l’information est-elle devenue un obstacle majeur à la résolution de la crise sécuritaire ?
A mesure que se complique la situation sécuritaire dans la région du Sahel, l’empire du mensonge et des vérités alternatives déploie son œuvre. Ce 22 avril au Mali, la ville de Sévaré a été la cible de plusieurs attaques revendiquées par le JNIM (ou GSIM, Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans). Notamment visés, l’aéroport de Sévaré et ce qui est désigné comme « le camp militaire des Russes ». Alors que les témoins ont rapporté que cette offensive a été repoussée grâce à la contribution de Casques bleus sénégalais de la Minusma – la mission de l’ONU au Mali -, cette « vérité » fut littéralement interdite par les propagandistes et cyber-hurleurs du régime de transition. Ainsi, Serge Daniel, correspondant de Radio France Internationale (RFI) qui publia cette information sur Twitter fut l’objet d’un lynchage en règle par ceux qui ont fait de ce genre d’exercice une sinistre expertise. Pourquoi cette volonté d’occulter l’intervention des Casques bleus lors des événements ? Parce qu’il n’est plus de bon ton de souligner « l’utilité » de la présence de la Minusma au Mali. D’autant qu’ont eu lieu et se préparent des manifestations pour réclamer son départ du pays. Il faut dire que certains tenants ou propagandistes du régime présentent la mission onusienne comme une « une force étrangère ». Comme si le Mali s’excluait de la communauté des Nations Unies… Au bout de cette logique, que resterait-il après le départ – pour l’heure improbable – de la Minusma ? L’exclusive relation avec la Russie.
Fièvre complotiste et détournement de la réalité
Ce même samedi 22 avril 2023, un hélicoptère des Forces Armées Maliennes (FAMA) s’est écrasé dans un quartier résidentiel de Bamako. Bilan officiel du crash : trois membres de l'équipage tués et six civils blessés. Cette tragédie aura aussi donné lieu à un festival d’hyperboles véridiques aux accents complotistes. Un tweet, parmi d’autres, posté par un faux compte du dispositif du groupe russe Wagner profilé « Delphine Sankara », affirma à propos du crash d’hélicoptère : « Les pays de l’Otan auraient remis à la Minusma des appareils électromagnétiques capables de dérégler et détruire des appareils vitaux des secteurs aériens et les faire crasher. Donc, vigilance. La Minusma est passée à l’offensive sur tous les plans contre le Mali ». Il s’agit là d’un morceau choisi, indicatif des énormités diffusées aujourd’hui vers les opinions. Qu’importe la vraisemblance, l’important est de créer un « climat ». Et comme dit l’adage, « mentez, mentez, il en restera toujours quelques chose ». Tel est l’objectif de cette guerre du mensonge : semer la confusion dans les esprits, par-delà le bien et le mal. Au Mali ou au Burkina Faso, pour ne citer que ces pays, la fièvre complotiste et le détournement de la réalité frôlent désormais un seuil critique, et se confondent lourdement avec un système de gestion des Etats. Le 25 avril 2023, un journaliste malien nommé Seydou Oumar Traoré, promoteur de plusieurs stations de radios, avait dans une vidéo et en toute impunité, appelé la population à détruire les symboles de l'ONU et à entreprendre des actions contre les personnels de la MINUSMA. Précisons que ce journaliste, fervent partisan du régime de transition et apologiste de la Russie, anime une émission dont la ligne éditoriale combine la propagande pro-Poutine et des diatribes incendiaires à l’encontre de certains dirigeants de la région, particulièrement l’Ivoirien Alassane Ouattara et le Nigérien Mohamed Bazoum.
Toutes ces manœuvres servent notamment à endiguer une question qui travaille de plus en plus les opinions : en quoi le nouveau pacte avec les « partenaires » russes de Wagner contribue-t-il à faire reculer le terrorisme dans le Sahel ? En tout cas, les Etats qui ont contracté une alliance avec Wagner mettront tout en œuvre pour justifier ce choix dont la pertinence se révèle de plus en plus hypothétique, à tout le moins. Mais la masse des contre-vérités ne sauraient masquer cette terrible réalité : jamais, depuis le début de la crise sécuritaire, les groupes armés non étatiques n’avaient connu de telles avancées et multiplié des offensives.
Aujourd’hui au Mali, les mouvements djihadistes sont, en certains lieux, en position d’administrer des territoires, bien plus que de se contenter de bastions éphémères. L’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) étend son emprise dans la région de Ménaka, et l’hypothèse de sa conquête durable du territoire ne relève plus de la simple spéculation. A telle enseigne qu’au Niger voisin, certains ironisent amèrement en ces termes : « Le Niger n’est plus voisin du Mali, mais de l’Etat islamique ». Au Burkina Faso aussi, alors que la menace s’étend inexorablement, les imprécations des activistes russolâtres détournent les gouvernants de l’essentiel : une approche globale, voire régionale, pragmatique et efficiente de lutte contre l’extrémisme violent.
Dérivatifs aventureux
Loin du Sahel, le cas du Centrafrique est devenu emblématique des choix hasardeux de coopération sécuritaire. Dans ce pays, alors que les groupes armés n’ont cessé de consolider leur autorité sur les territoires conquis, le pouvoir qui a fait des mercenaires et des méthodes de communication de Wagner son principal bouclier, s’accommode de cet état de fait, quitte à admettre que l’Etat n’est plus, ici, qu’une notion relative, voire, à maints égards, une vue de l’esprit. Mais alors que le Centrafrique s’étiole, Evgueni Prigojine, patron de Wagner, ne cache rien de son agenda africain, à savoir augmenter son chiffre d’affaires auprès des Etats africains « amis », et tirer le plus grand profit des ressources de leurs sous-sols. Tels sont les termes du « deal » russo-africain.
Les stratégies informationnelles et de propagande ne pourraient indéfiniment masquer les errements diplomatiques et une gouvernance défaillante. Les rhétoriques prétendument « idéologiques » inspirées du kit de communication des réseaux de Wagner, les campagnes de diabolisation mécanique de « l’Occident » - la France, singulièrement - et la désignation systématique de boucs émissaires sont devenues des dérivatifs aventureux face aux grands défis et aux urgences de l’époque. Que de temps perdu pour les populations en quête du mieux-être, et qui, au terme de cette période de grande confusion, lorsque sonnera l’heure des comptes, seront néanmoins invitées à en payer la facture.
Toutefois, n'hésitons pas à relever quelques bonnes nouvelles permettant de produire des raisons d’espérer. Au Niger, selon un rapport du Centre national d’alerte précoce et de réponses aux risques sécuritaires (CNAP), les attaques perpétrées par les groupes terroristes contre les civils ont enregistré une baisse de 76 % entre 2022 et 2023. Selon la CNAP, cette tendance positive serait due notamment à « la présence permanente des forces de défense et de sécurité (FDS) sur l’ensemble du territoire nigérien et à leur professionnalisation dans la lutte contre le terrorisme ». Ajoutons à cela qu’au Niger, le renforcement continu de l’Etat de droit constitue aussi l’un des remparts systémiques contre l’expansion de l’extrémisme violent et la vulnérabilité de l’Etat.
Francis Laloupo
Journaliste, Essayiste
Enseignant en Géopolitique