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Du bon usage du panafricanisme

janvier 16, 2023 0 1681

Au risque de le vider de sa substance et le travestir, le panafricanisme a été convoqué ces derniers temps pour justifier toutes sortes de postures ou d’impostures. Même à supposer que la fibre panafricaniste ait eu besoin d’évoluer pour épouser les contextes actuels, les incartades et autres manipulations observées ici et là n’ont rien à voir avec le vrai panafricanisme.

L’Ethiopien Haile Selassié, le Ghanéen Kwame N’Krumah, l’Egyptien Gamal Abdel Nasser ou le Tanzanien Julius Nyerere ont dû à plusieurs reprises se retourner dans leurs tombes ces derniers mois. Tant les postures et les idées professées par des néo-panafricanistes sont aux antipodes du panafricanisme, celui-là qu’ils ont porté et et qui a conduit à l’unité africaine et à la libération du continent du joug colonial.

Le temps des faussaires

Nous prenant à témoins, la fibre panafricaniste a été mobilisée pêle-mêle pour justifier le haro contre le franc CFA, le soutien à la junte malienne, les diatribes enflammées contre la CEDEAO, la dénonciation de la présence des forces étrangères au Sahel, etc. Outre le trop large spectre que cette grille de lecture du panafricanisme balaye, elle a eu la force de semer le doute dans la culture historique des personnes qui ont connu et étudié le panafricanisme, le vrai. Sans remonter jusqu’à Marcus Garvey et William E.B. Dubois, grands avocats de la communauté de destin des peuples noirs, la relecture du panafricanisme établit de façon irréfutable qu’il repose sur deux piliers : l’unité et la solidarité. Deux valeurs qui n’ont rien à voir les assauts prosélytes des néo-panafricanistes.

Dignes héritiers des panafricanistes historiques, les pères fondateurs des indépendances africaines ont d’abord eu à leur agenda le long combat pour la construction de l’unité africaine. Dès 1958, huit pays africains alors indépendants, s’étaient réunis à Accra pour envisager la mise en place d’une organisation panafricaine. Cette première rencontre sera suivie de celle de 1960 à Addis-Abeba qui réaffirma les principes de l’urgence d’une unité africaine. Avant d’arriver à la création historique le 24 mai 1963 de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), le chemin de l’unité africaine s’est arrêté en janvier 1961 à Casablanca où s’étaient réunis les partisans d’une unité politique africaine. La marche laborieuse vers la construction de l’unité continentale s’est à nouveau arrêtée en mai 1961 à Monrovia où près de 20 nations indépendantes africaines avaient défendu le principe d’une union africaine portée par la dynamique économique. Sur l’autel de l’unité indispensable du continent, les pères fondateurs avaient consenti à mettre de côté leur divergences, parfois fondamentales, pour se retrouver tous à Lagos en janvier 1962 afin de poser le principe de la création d’une organisation continentale qui sera finalement portée sur ses fonds baptismaux le 24 mai 1963 à Addis-Abeba. Il ressort de ce rappel historique que le panafricanisme privilégie en toute circonstance, au-delà des divergences, la recherche de l’unité et du consensus. On ne saurait donc se réclamer du panafricanisme et souffler sur les braises lorsqu’il y a des tensions entre le Mali et la CEDEAO, à fortiori appeler au retrait de ce pays de l’organisation régionale. Ce qui aurait fait sens, c’est plutôt rester dans la CEDEAO, quitte à en exiger les réformes souhaitées. Comment en effet se réclamer du panafricanisme et exhorter au bras de fer entre des Etats africains voisins ?

 On a ainsi pu entendre certains néo-panafricains se réjouir, tout en les stimulant, des malentendus et tensions entre le Mali et la Côte d’Ivoire, entre le Niger et le Mali…

La solidarité africaine prise à défaut

L’autre pilier du panafricanisme, c’est le principe de la solidarité. C’est au nom de cette valeur cardinale du panafricanisme que la Guinée d’Ahmed Sékou Touré, l’Algérie de Boumediene et le Sénégal de Senghor ont soutenu la guerre d’indépendance du Parti africain pour l’indépendance du Cap-Vert de la Guinée-Bissau (PAIGC) d’Amilcar Cabral. Il en va de même pour le soutien apporté par le Congo au Mouvement de libération du peuple angolais (MPLA) d’Agostinho Neto en Angola.  C’est surtout au nom de cette solidarité intra-africaine que les pays dits de la ligne de front (Botswana, Mozambique, Tanzanie, Zimbabwe) ont payé un lourd tribut à la lutte contre le régime ségrégationniste de l’Apartheid en Afrique, en servant de bases-arrières au Congrès national africain (ANC). C’est enfin au nom de cette solidarité africaine que les vrais panafricanistes africains tels que Joseph Ki-Zerbo, Abdou Moumouni Dioffo, Myriam Makeba et bien d’autres s’étaient précipités au chevet du Mali de Mobido Keita et de la Guinée de Sékou Touré pour soutenir et accompagner ces deux jeunes nations qui venaient d’accéder à l’indépendance. Sur ces questions essentielles de solidarité et d’unité continentales qui fondent l’ADN même du panafricanisme, les néo-panafricains ne donnent pas de la voix. Comment se prétendre panafricaniste et ne jamais porter de vrais débats sur les entraves à la libre circulation des Africains en Afrique. A l’exception du Bénin, de la Gambie, du Rwanda et des Seychelles, sauf accord bilatéral ou disposition communautaire (CEDEAO, SADC, IGAD), un Africain se déplaçant sur le continent se verra exiger un visa à l’entrée de chaque pays. Plus grave, certains pays dispensent des ressortissants des Etats non africains de visa, alors même qu’ils l’exigent pour des Africains. D’autres Etats africains partageant des frontières communes imposent le régime du visa d’entrée à leurs ressortissants.  

 Au-delà des regrets que l’on pourrait légitimement avoir face à ce constat, c’est sur ces problématiques que l’on attend les néo-panafricanistes. Confrontée depuis plusieurs années à une grave crise multiforme, le Sahel illustre jusqu’à la caricature le déficit de solidarité interafricaine. Après la création de leur force conjointe en février 2017, les Etats du G 5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), n’ont pas été en mesure de rassembler les 400 millions d’euros nécessaires à son opérationnalisation effective. Le reste du continent ne leur a été d’aucun secours. Exception faite du Sénégal et du Rwanda qui ont versé respectivement 1,5 million d’euros et un million de dollars au Secrétariat exécutif du G5 Sahel, les autres Etats du continent n’ont pas manifesté de solidarité agissante envers les pays du Sahel. Ni financièrement, ni matériellement alors même qu’il existe sur le continent des Etats, notamment l’Afrique du Sud et l’Egypte, disposant d’industries de l’armement. Pendant ce temps, l’Union européenne, à elle seule, a accordé 100 millions d’euros au G5 Sahel. De son côté, la Turquie s’est engagée à vers 5 millions de dollars au G5 Sahel. Des soldats danois, portugais, britanniques, suédois viennent lutter contre le terrorisme au Sahel. La logique panafricaniste aurait voulu qu’ils soient devancés sur place par des soldats angolais, éthiopiens, kenyans ou congolais.

Refusant, sans doute, toute forme d’autocritique et préférant en toute circonstance jeter la pierre aux autres, y compris ceux qui pensent différemment, les néo-panafricanistes, mus par de sombres et inavouables desseins, ne donnent pas de la voix sur ces questions tout aussi importantes. Leurs objectifs apparaissent bien éloignés de l’essence et des horizons du panafricanisme. Leur posture n’est pas tenable. En tout cas, pas durablement.  

Seidik Abba

Journaliste-écrivain

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