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Sahel : les trois piliers de la résilience sécuritaire du Niger

Alors qu’il est le pays le plus vaste et le plus exposé de la zone dite des trois frontières, le Niger affiche une résilience sécuritaire bien meilleure que le Burkina Faso et le Mali, ses deux voisins. Outre le choix assumé et transparent d’un partenariat extérieur, notamment avec la France, cette résilience nigérienne repose sur trois piliers essentiels.

Boko Haram sur la frontière sud-est commune avec le Nigeria ; le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS) sur le flanc nord-ouest partagé avec le Burkina et Mali ; enfin l’insécurité grandissante et permanente sur la frontière nord avec la Libye, pays en état de désintégration depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. Alors que tout son environnement le prédispose à une situation sécuritaire bien plus dégradée qu’au Burkina Faso et au Mali, le Niger affiche une résilience remarquable qui repose, d’abord, sur la qualité de son outil de défense et de sécurité. Des rébellions successives que le pays a connues entre 1991 et 1999 puis en 2007 avec le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ), les forces de défense et de sécurité ont tiré une tradition de combats et un aguerrissement qu’elles mobilisent dans leur stratégie de lutte contre le terrorisme. Cette expérience du feu s’appuie sur un effort en équipement et en matériel militaires amorcé sous l’ancien président Mamadou Tandja (1999-2010) pour faire face à la rébellion du MNJ, poursuivi et renforcé ensuite à partir de 2012 sous le président Mahamadou Issoufou (2011-2021).

Après son installation au pouvoir en avril 2021, le président Mohamed Bazoum a choisi de maintenir et d’amplifier les moyens affectés à l’armée et aux forces de sécurité intérieure : gendarmerie nationale, garde nationale et police nationale. Progressivement, les efforts des différents gouvernements ont permis aux FDS nigériennes de disposer d’une bonne puissance de feu, d’une grande mobilité mais surtout d’acquérir une aviation légère de combat composée de MIG 24, MI 17, de Sukoi, de drones Bayraktar TB2 et d’avions de reconnaissance turcs Hürkus. Selon un décompte indépendant, le Niger a investi en dix ans près de 1700 milliards de FCFA (soit près de 2,58 milliards d’euros) dans son outil de défense. Depuis plusieurs années, le pays consacre en moyenne 15% de ses dépenses budgétaires annuelles au secteur de la défense. Le croisement de l’effort en équipement et la doctrine nigérienne de défense opérationnelle du territoire (DOT), qui assigne un rôle spécifique à chacune des forces antiterroristes, permet au pays d’avoir un très large maillage du territoire. Résultat, à la différence de ces deux voisins – Mali et Burkina Faso -, le Niger ne déplore pas l’existence de bases permanentes de groupes djihadistes sur son sol.  Autre signe de la robustesse de son outil de défense, l’armée nigérienne a monté début mars 2023 une opération terrestre et aérienne pour traquer des djihadistes, auteurs de l’attaque du 10 février dernier contre une de ses positions, jusqu’aux alentours de la ville de Ménaka, dans le nord du Mali. Selon le bilan fourni de source militaire, près de 79 djihadistes ont été tués lors de ce raid de représailles.

L’arme de la cohésion sociale

Dans le contexte de la crise sahélienne actuelle, endémique et multiforme, l’outil militaire, quelle que soit sa qualité, ne saurait suffire pour bâtir une résilience durable. Conscient de cette évidence, le pouvoir nigérien a ainsi choisi de mobiliser les atouts de la cohésion sociale dans sa stratégie de réponse au défi sécuritaire. Ce pilier a été d’autant plus facile à actionner que le Niger ne compte que 9 groupes ethnolinguistiques (Haoussa, Zarma, Touareg, Peul, Kanouri, Toubou, Arabe, Boudouma et Gourmantché).

 Au-delà du nombre, ce sont les liens de métissage inter-ethnique à travers les mariages qui ont cimenté la cohésion sociale au Niger et renforcé le vivre-ensemble. Il n’existe pas aujourd’hui une seule grande famille nigérienne dans laquelle on ne compte pas trois, quatre voire cinq ethnies et plus, réunies par les liens de mariage ou des alliances collatérales. La cohésion sociale nigérienne bénéficie par ailleurs très fortement des relations de cousinage à plaisanterie. Transmises de génération en génération à l’intérieur de la cellule familiale, ces relations de plaisanterie entre ethnie font que le peul est cousin du kanouri, qui est lui-même cousin du maouri (un sous-groupe des haoussas) ; que le zarma est cousin du touareg ; que le maouri est cousin du peul.

Avec un brassage ethnique d’une telle solidité, il n’y a aucun risque de voir se produire au Niger le drame d’Ogossagou, au Mali, qui a vu les dogons massacrer, en mars 2019, 160 civils peuls.

« Les groupes djihadistes recrutant parmi l’ensemble des communautés, la stigmatisation d’une seule est source de division », ont averti en février dernier différents groupes ethniques nigériens de la région de Tillabéri, dans le nord-ouest, signataires de l’Accord de Banibangou[1].  Il serait cependant inexact de ne pas souligner qu’il existe, en dépit de cette forte cohésion sociale, des tensions communautaires qui peuvent naître du voisinage, des effets du changement climatique, de la pression démographique sur l’accès aux ressources naturelles disponibles. A en croire l’approche choisie par l’Accord de Banibangou, qui n’a fait que confirmer des valeurs sociétales nationales, tout différend entre les communautés doit se régler par la voie pacifique, à travers les leaders religieux et traditionnels, dépositaires encore de l’autorité dans les villages. Une des forces de la cohésion sociale au Niger, c’est qu’elle repose sur l’autorité traditionnelle qui a considérablement été affaiblie au Burkina Faso et au Mali. Autre fait inédit, le Niger dispose d’une structure permanente pour la paix et la réconciliation nationale reconnue sous le nom de Haute autorité à la consolidation de la paix (HACP), une institution directement rattachée à la présidence de la république. 

Les dividendes de la stabilité politique

Aux deux premiers piliers, s’ajoute le poids de la stabilité politique pour expliquer la résilience sécuritaire tant célébrée du Niger. Outre l’alternance pacifique qui a vu le président Bazoum succéder à Mahamadou Issoufou, à l’issue de la présidentielle de décembre 2020, le Niger a su éviter que la contestation des résultats de ce scrutin se transforme en un troisième tour arbitré dans la rue. Mahamane Ousmane, le candidat malheureux du second tour, avait pris l’option de s’en remettre aux juridictions d’arbitrage du contentieux électoral jusqu’à épuiser tous ses recours nationaux avant de solliciter la Cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest. Cette posture de sagesse et de retenue avait permis au pays d’éviter des lendemains incertains et douloureux après la confirmation de la victoire de Bazoum.

 Après son installation, le nouveau président a posé de nombreux actes allant dans le sens de la consolidation de la stabilité politique du pays. Il a ainsi accédé à la revendication des partis non membres de la majorité présidentielle de reconnaître le statut de chef de file de l’opposition à Tahirou Saidou dit Parc 20, président du Mouvement démocratique nigérien/ Pour une fédération africaine (MODEN/FA Lumana). Afin de fluidifier les relations entre pouvoir et opposition et de prévenir des crises aiguës, le pays s’est doté d’une instance permanente d’échanges entre les forces politiques dénommé Cadre national du dialogue politique (CNDP). De nouveaux textes viennent d’être adoptés à l’unanimité par la majorité présidentielle et l’opposition afin de rendre la gouvernance du CNDP plus transparente et démocratique. La stabilité politique nigérienne devrait se confirmer pour les prochaines années en raison d’un calendrier électoral allégé qui ne prévoit que des législatives partielles en 2023 pour désigner les cinq députés de la diaspora.

Mis ensemble, la qualité de l’outil militaire, la forte cohésion sociale et la stabilité politique éclairent sur les secrets de la résilience sécuritaire du Niger, qui repose, par ailleurs, sur le choix parfaitement assumé de contracter des partenariats militaires, notamment, avec l’Allemagne, les Etats-Unis, la France, l’Italie et la Turquie.

Toutefois, cette résilience, si elle veut être efficace et durable, doit trouver son prolongement au-delà des frontières nationales, particulièrement au Burkina Faso et au Mali qui forment avec le Niger la zone des trois frontières, épicentre des activités des groupes terroristes au Sahel.   

Seidik Abba, journaliste-écrivain, auteur de Niger : la junte militaire et ses dix affaires secrètes (2010-2011), paru en 2013, chez l’Harmattan.

 

[1] Sous l’égide de l’ONG suisse HD, un accord de paix et de coexistence pacifique a été signé le 21 janvier 2023 par les communautés de la préfecture de Banibangou, nord-ouest du Niger, dans la zone des trois frontières. Il met ainsi fin à deux décennies de tensions intercommunautaires.

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