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Intervention de SEM Issoufou Mahamadou ancien Président de la République du Niger à l'occasion de la cérémonie du Prix Mo Ibrahim sur le leadership

Mesdames et Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement,
Monsieur le Président de la Commission de l’Union Africaine,
Monsieur le Président de la Conseil Européen,
Madame la Secrétaire Générale Adjointe des Nations-Unies,
Madame la Secrétaire Générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie,
Monsieur Mo Ibrahim, Président de la Fondation Mo Ibrahim,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d’Administration De la Fondation Mo Ibrahim,
Mesdames et Messieurs les membres du Comité du Prix Mo Ibrahim,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi de saluer et de remercier le Président William Ruto pour la fraternelle hospitalité qu’il nous offre à l’occasion de ce premier Ibrahim Governance Weekend qui se tient, ici à Nairobi, après deux éditions virtuelles du fait de la pandémie de la Covid-19.
Permettez-moi également de me réjouir de ce que la présente soirée, qui en marque l’ouverture officielle, soit dédiée au lauréat 2020 du prix Ibrahim d’Excellence en leadership, prix que j’ai déjà accepté à l’occasion d’une précédente cérémonie virtuelle. Ce prix, qui n’a pas été attribué depuis plusieurs années, m’honore. J’en remercie du fond du coeur le Président Mo Ibrahim et les membres du Comité du prix. Je le dédie au peuple Nigérien, ce peuple qui m’a confié la direction du Niger pendant une décennie et qui y a rendu possible la première alternance démocratique depuis l’indépendance, respiration politique qui a contribué à la consolidation des institutions démocratiques et républicaines. Elle constitue en effet un pas en avant dans le processus de construction d’un Etat démocratique fort, dans une région où le retour des coups d’Etat est une source de préoccupation. Elle consolide l’Etat de droit à travers le respect des lois notamment de la constitution. La démocratie et l’Etat de droit constituent les conditions nécessaires à la stabilité dont nos pays ont besoin pour relever les défis multiples auxquels ils sont confrontés. J’ai travaillé sur ces défis pendant dix ans au Niger : il s’agit des défis sécuritaire, démographique, climatique, migratoire, humanitaire et défi du développement économique et social notamment la lutte contre la pauvreté et les inégalités. En dépit de la gravité de ces défis, les résultats enregistrés par le pays, pendant cette période, ont permis d’en amorcer la transformation : croissance économique annuelle moyenne de 6% ; recul de la pauvreté de huit (8) points de pourcentage ; sécurité des personnes et des biens globalement assurée dans une région soumise aux menaces des organisations terroristes et criminelles ; accroissement sans précédent de la production agricole et pastorale, assurant la sécurité alimentaire des populations grâce à l’initiative « 3N », « les Nigériens Nourrissent les Nigériens », considérée comme modèle de politique agricole par la FAO et d’autres organisations internationales ; protection de l’environnement et adaptation au changement climatique ; réalisations d’importantes infrastructures routières, énergétiques, numériques et urbaines ; amélioration du climat des affaires pour promouvoir les investissements et les chaînes de valeur, soutien aux secteurs minier et pétrolier, restructuration de l’économie; développement du capital humain à travers la promotion de l’éducation, de la santé, de l’accès à l’eau et à l’assainissement ; déclenchement du processus de transition démographique à travers la scolarisation de la jeune fille, la promotion de la santé de la reproduction et la lutte contre les mariages et les grossesses précoces ; autonomisation et d’émancipation de la femme ; création de centaines de milliers d’emplois notamment pour les jeunes. Toutes ces actions de transformation doivent être poursuivies sur plusieurs décennies afin de créer les conditions d’émergence du Niger. C’est dans cette perspective que nous sommes engagés à construire un Etat démocratique fort et stable, capable de promouvoir une bonne gouvernance politique et économique, d’impulser une croissance forte et inclusive et d’achever la transition démographique. C’est la mission de plusieurs générations, chacune remettant l’ouvrage sur le métier sur les acquis des générations qui l’ont précédée.
Mesdames et Messieurs,
Notre pays, le Niger est donc sur la bonne voie. Néanmoins, au regard du bilan de plus de 60 ans d’indépendance, il est désormais évident qu’aucun pays du continent ne peut faire cavalier seul. L’Afrique a besoin du ciment des valeurs du panafricanisme telles qu’elles sont définies par l’agenda 2063. Cet agenda définit la vision de l’Afrique que nous voulons, dans 40 ans, quand nous fêterons le double centenaire des indépendances et de la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). La bonne gouvernance est une des conditions nécessaires à la réalisation de cette vision. Or, après des années de progrès, la gouvernance globale marque le pas sur le continent, depuis 2019, selon l’Indice Ibrahim de la gouvernance africaine (IIAG)2022. Cette dégradation nous éloigne des Objectifs du Développement Durable (ODD) et de ceux de l’Agenda 2063. D’après Mo Ibrahim, cette stagnation résulte de la détérioration conjointe de deux indicateurs : Sécurité et Etat de droit d’une part et Participation, droits et inclusion d’autre part. Je peux en témoigner pour les régions du Sahel et du bassin du Lac Tchad, confrontées à un niveau de violence sans précédent du fait du terrorisme, du crime organisé, de l’irrédentisme et des conflits intercommunautaires avec leurs cortèges de morts, de viols et autres tortures, de personnes déplacées, d’écoles et de centres de santé fermés. Malheureusement ces menaces, amplifiées par la crise libyenne, s’aggravent et s’étendent vers les pays du golfe de Guinée qui, de ce fait, appartiennent désormais au même espace géopolitique que le Sahel et le Sahara. Les Etats, déjà fragilisés notamment par les politiques d’ajustement structurel des années 1980 et 1990, sont débordés et dans l’incapacité d’honorer le contrat social qui les lie à leurs citoyens. En particulier, ils n’arrivent plus à assurer le monopole de la violence légitime et les services sociaux de base. Par ailleurs les acquis démocratiques volent en éclat avec le retour des coups d’Etat dont on croyait l’ère à jamais révolue. La crise en cours au Soudan vient malheureusement consolider cet arc de crise qui va de la Guinée Conakry, c’est-à-dire de l’Atlantique, à la mer rouge. Tout se passe comme si nous sommes en panne de solutions. Tout se passe comme si nous sommes impuissants à sauver la maison qui brûle.
Mesdames et Messieurs,
La faiblesse des Etats est souvent une des causes de l’échec des démocraties. C’est ce que confirme le recul démocratique qu’enregistre le continent, notamment au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Pour réussir, la démocratie doit être portée par des institutions fortes notamment des forces politiques et sociales internes, bien structurées. Elle ne peut être imposée de l’extérieur. C’est pourquoi, j’estime, avec Robespierre, que : « la plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à mains armées chez un peuple étranger pour lui faire adopter sa constitution ». Cette assertion est confirmée par les interventions en Irak, qui a vu naître l’Etat Islamique, et l’intervention en Libye qui y a créé le chaos et allumé l’incendie qui ravage aujourd’hui le Sahel et l’Afrique de l’Ouest. Le défi de la construction des Etats démocratiques doit être relevé par des forces endogènes. Il en est de même du défi sécuritaire, par rapport auquel, s’agissant de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel, il existe plusieurs initiatives : G5-Sahel et sa force conjointe, Force Mixte Multinationale du bassin du lac Tchad, Comité d’Etat Major Opérationnel Conjoint, initiative d’Accra, Processus de Nouakchott.
Pour surmonter ce défi, il faut à la fois accélérer, dans l’immédiat, la montée en puissance des forces de défense et de sécurité au niveau nationale et rationnaliser les initiatives de mutualisation au niveau régional. Il reste évident que la solution n’est pas que militaire : sécurité, démocratie, développement demeurent intimement liés.
Mesdames et Messieurs

Si les deux indicateurs de l’indice, que je viens de citer, se sont dégradés, on note, fort heureusement, que l’évolution des deux autres, le développement humain et les opportunités économiques, autorise à l’optimisme car ils ont progressé entre 2012 et 2021. Néanmoins, pour faire face, de manière globale, à l’ensemble des défis auxquels notre continent est confronté, un leadership collectif très fort, armé de la vision de l’agenda 2063, est nécessaire. Ce leadership doit mettre en oeuvre, avec détermination, tous les projets phares de cet Agenda, depuis le projet «faire taire les armes », en mettant en place l’architecture de paix et de sécurité de l’Union Africaine, à la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAf), en passant par le plan du développement des infrastructures en Afrique (infrastructures routières, énergétiques, ferroviaires, numériques, portuaires, aéroportuaires etc…), le plan du développement des industries en Afrique pour développer des chaînes de valeur et donc sortir du statut de simple réservoir de matières premières, le plan du développement agricole de l’Afrique afin de mettre en valeur l’immense potentiel de terres arables non encore commises en valeur, ce qui permettra ainsi à l’Afrique de nourrir l’Afrique au lieu d’importer plus de 70 milliards de céréales. L’Afrique doit prendre la totalité de son destin en main. La meilleure façon d’y parvenir est de s’unir, de sortir des frontières héritées de la colonisation, non pas en créant de nouvelles frontières, mais par le haut, par l’intégration, en exploitant tous ses atouts de manière judicieuse, notamment son immense potentiel en ressources naturelles et son formidable actif démographique.
Mesdames et Messieurs,
Dans ce combat pour une Afrique intégrée, unie, en paix, prospère et dirigée par ses propres enfants, une Afrique qui compte dans le concert des nations, je me réjouis de constater que la Fondation Mo Ibrahim apporte sa précieuse contribution. Les thèmes qui vont être abordés à l’occasion du présent Ibrahim Governance Week-end (IGW 2023), notamment, « l’Afrique dans le monde », « le monde en Afrique », « la voix de l’Afrique dans le système multilatéral », en constituent une parfaite illustration. La Fondation Issoufou Mahamadou (FIM) tentera également, à son modeste niveau, d’apporter sa contribution à la réalisation du but de l’Afrique que nous voulons. « Penser pour agir » est sa devise. Contribuer à la promotion de la paix, de la démocratie, du panafricanisme, au développement du capital humain et à la lutte contre les effets du changement climatique, sont ses objectifs. C’est en mobilisant toutes les initiatives publiques comme privées que nous réussirons à surmonter les défis auxquels le continent est confronté.
En souhaitant au Ibrahim Governance Weekend 2023, tout le succès qu’il mérite, permettez-moi de renouveler mes remerciements au Président Mo Ibrahim et aux membres du comité du prix de m’avoir retenu comme lauréat pour l’année 2020. Je suis honoré et fier de figurer sur cette liste des lauréats aux cotés de prestigieux hommes et femme d’Etat : Neslon Mandela, ancien Président de l’Afrique du Sud (2007), Joaquim Chissano, ancien Président du Mozambique (2007), Festus Mogae, ancien Président du Botswana (2008), Pedros Pires, ancien Président du Cap Vert (2011), Hifikepunye Pohamba, ancien Président de la Namibie (2014), Ellen Johnson Sirleaf, ancienne Présidente du Libéria (2017). Je suis le 7ème lauréat alors que le prix a été créé en 2006, il y’a de cela 17 ans ! Ce faible nombre de lauréats permet la même lecture de la qualité de la Gouvernance que l’indicateur Mo Ibrahim. Nous avons le devoir de nous ressaisir, de  reprendre le chemin de la bonne gouvernance c’est-à-dire celui de la marche vers la transformation du Continent.
Je vous remercie.

Dernière modification le lundi, 01 mai 2023 17:41

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