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L’encombrant « partenaire » Wagner

Au Sahel et ailleurs à travers le continent africain, les Etats ayant contracté des obligations envers le Groupe Wagner pourront-ils, à terme, assumer les potentiels contentieux et conséquences d’une alliance fondée sur de lourdes ambiguïtés et porteuse de menaces pour l’intégrité nationale et la cohésion sociale ?

Des diplomates de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) s’interrogent :  comment résoudre, à terme, les conséquences de l’installation de la société paramilitaire Wagner dans certains pays de la région ? Comment s’accommoder indéfiniment du fait que le Mali, et plus discrètement le Burkina Faso, en soient arrivés à faire de Wagner, bras armé d’une nouvelle relation russo-africaine, un élément prépondérant de leur diplomatie nationale ? L’affaire est d’autant plus épineuse que le Kremlin continue d’entretenir une ambiguïté superflue sur ses liens avec Wagner, tout en reconnaissant opportunément son utilité dans le contexte de la guerre en Ukraine, ou dans sa politique de projection sécuritaire et économique en Afrique. Cependant, tout porte à croire que l’exécutif russe ne sera pas disposé à endosser, à l’heure des comptes, les multiples dérives et autres exactions imputées aux mercenaires wagnériens dans les pays où ils déploient leurs œuvres. Autant dire que tout contrat d’un Etat avec Wagner s’apparente à une alliance fantomatique, étant donné que l’existence de l’une des parties relève davantage de l’hypothèse que d’une réalité validée.

A maints égards, le phénomène Wagner se présente comme une imposture protéiforme. Affiché comme l’éradicateur du fléau terroriste et djihadiste dans le Sahel où l’extension territoriale se poursuit, ses mercenaires se comportent surtout comme des coupe-jarrets, massacrant sans distinction populations ordinaires et terroristes supposés. Avec pour résultat le gel d’une conflictualité dont nul n'ose plus prédire l’issue. Autre imposture : alors que le contrat avec cette société paramilitaire est censé se limiter aux questions sécuritaires, ses activités ont désormais débordé ce cadre pour se projeter dans le champ politique. Dans un proche avenir, tout porte à croire que Wagner pourrait s’impliquer sans réserve dans les processus électoraux dans les pays où sévit la milice… Pour accomplir ce processus d’occupation des territoires, il intensifie une guerre informationnelle destinée à produire une « idéologie » aux destinations encore insondables mais dont les effets sont déjà à l’œuvre dans les pays où elle opère.

« Premier Etat Wagner d’Afrique »

Objectifs identifiés pour l’heure dans cette guerre informationnelle : une exploitation brutale et accélérée des ressources minières doublée d’une forte inclination à peser sur les décisions politiques et économiques. Alors qu’au Mali cette logique semble encore relativement contenue, elle a atteint un seuil d’achèvement en Centrafrique où certains habitants n’hésitent plus à dire que leur pays est devenu le « premier Etat Wagner d’Afrique ». La logique qui s’est déployée en Centrafrique à la manière d’une capture d’Etat, peut être considérée comme une expérience pilote de l’agenda de Wagner pour les autres pays où cette entreprise installe ses hommes et son dispositif de conquête.  Au Soudan, alors que se déroule depuis plusieurs semaines une guerre aux conséquences désastreuses, le Groupe Wagner a fourni à l’un des belligérants, les « Forces de soutien rapide », des missiles sol-air pour lutter contre l’armée soudanaise, contribuant ainsi, au nom d’intérêts obscurs, à l’amplification d’un conflit armé qui aggrave le chaos dans cette région.  

Quand l’on sait que Wagner est devenu un acteur clé dans la guerre de Vladimir Poutine contre l’Ukraine, il devient de plus en plus difficile de dissocier ses activités en Afrique des buts de cette guerre. Les pays ayant contracté une alliance avec la société de Evgueni Prigojine sont-ils réellement prêts à se laisser impliquer indirectement dans ce conflit par le biais de leur alliance avec l’organisation paramilitaire ? En annonçant une série de sanctions contre la société Wagner le 25 mai 2023, le Département du Trésor des Etats-Unis indiquait notamment, à propos des activités de Wagner au Mali : « Le Groupe Wagner cherche peut-être à faire transiter des acquisitions matérielles pour l’Ukraine via le Mali et est prêt à utiliser de faux documents pour ces transactions. Il semblerait que Wagner ait tenté d’acheter des systèmes militaires à des fournisseurs étrangers et d’acheminer ces armes à travers le Mali en tant que tierce partie. Par exemple, les employés de Wagner ont peut-être tenté de travailler à travers le Mali pour acquérir du matériel de combat tel que des mines, des véhicules aériens sans pilote, des radars et des systèmes de contre-batterie à utiliser en Ukraine. »

Particulièrement visé par les sanctions du Bureau du contrôle des avoirs étrangers (OFAC) du Département du Trésor des Etats-Unis, Ivan Aleksandrovitch Maslov, chef des unités et principal administrateur de Wagner au Mali. Maslov, pièce maîtresse du dispositif de Wagner au Mali est celui qui fut chargé par Prigojine de l’installation des mercenaires russes dans ce pays. Maslov s’applique à tisser la toile de l’implantation du Groupe dans plusieurs pays africains, en consolidant les relations entre Prigojine et des représentants de gouvernements. Il est à la fois l’homme des opérations militaires et de la gestion des intérêts du Groupe Wagner dans le secteur extractif.


Nuage de la guerre informationnelle

Aujourd’hui, moins de dix ans après sa création, Wagner est l’objet de multiples dénonciations et condamnations, notamment liées à sa présence dans différents pays sur le continent, et aussi pour son implication dans la guerre de la Russie contre l’Ukraine. Sanctionné par les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne et le Canada, Wagner pourrait se transformer à terme, en un lourd caillou diplomatique et politique dans les bottes des juntes militaires au Mali ou au Burkina Faso. Mais cette perspective ne semble pas réduire l’élan du Groupe qui, fort de la délégation que lui octroie le Kremlin, ne doute pas de l’expansion de ses œuvres. Et pour cela, il compte sur le « nuage » de sentiments anti-« Occident » et anti-France, qu’il s’attelle à fortifier et élargir en Afrique de l’Ouest. Wagner mise à terme sur cette fabrication des « citoyens imaginaires » pour défendre sa cause et… conforter ses intérêts, contre le reste du monde.

Au cours de l’année 2022, les pages Facebook d’actualité/média et de soutien à la Russie se sont démultipliées pour le Burkina Faso sur Facebook (Rapport Février 2023 « Burkina Faso sous influence » du collectif All Eyes On Wagner). Pas moins d’une cinquantaine de pages media/groupe media Facebook ont été identifiées dans cette sphère au cours de cette période. Cette nouvelle forme de propagande est par endroits financée par la Lobaye Invest, société de Wagner ayant sa base en Centrafrique, filiale de l’entreprise russe M-Finans, contrôlée par Prigojine. Sur le Registre international des sanctions, on peut lire que « Lobaye Invest est associée au Groupe Wagner, inscrit sur la liste pour de graves atteintes aux droits de l’homme, dont des actes de torture et des exécutions et assassinats extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, dans plusieurs pays, dont la RCA. De par ses activités, Lobaye Invest soutient également de telles atteintes commises en RCA ».

Caractéristiques constantes de la stratégie informationnelle dont certains pays africains sont devenus le réservoir et l’usine :  une rengaine éditoriale faite d’éloges à la Russie, d’une critique répétitive et mécanique de la France et plus généralement de « l’Occident », et d’un soutien aux juntes militaires du Mali et du Burkina Faso. Le tout mâtiné de slogans « souverainistes » et d’appels à manifester dans la rue. Au-delà de cette structure de communication, nulle place pour des projets de société ou des propositions pour le mieux-être collectif. Le nuage de la guerre informationnelle peut-il constituer un projet politique et, surtout, un programme de progrès social ?

Dans son rapport publié en février 2023, le collectif All Eyes On Wagner signale que « dès le mois de mars 2022 au Burkina Faso, des médias affiliés à Evgueni Prigojine relaient des narratifs anti-colonialistes, amplifient des manifestations et des messages de soutien à la guerre menée par la Russie en Ukraine ». L’ensemble des actions observées révèle que « l’influence pro-russe au Burkina Faso est insidieuse, persistante et orchestrée par des acteurs identifiés et qui ont pu être financés par le Groupe Wagner. Un battage médiatique et numérique constant et démultiplié auprès des populations burkinabè pour modifier et manipuler les perceptions. » Depuis le coup d’Etat de septembre 2022 qui a porté le capitaine Ibrahim Traoré au sommet de l’Etat, la junte semble avoir intégré les profits de la guerre de l’information. Alors qu’elle est de plus en plus critiquée par les syndicats, des organisations politiques et de la société civile, notamment pour sa propension à « bâillonner » les voix indésirables, la junte a mis en place sa propre armée de « trolls » dressés contre tous ceux qui contestent son bilan et ses insuffisances, ainsi que son projet diffus de prolonger la période de transition. Solidaire du pouvoir des colonels maliens, le gouvernement du président Ibrahim Traoré a, récemment, créé surprise et incompréhension en s’en prenant vertement aux Nations unies pour avoir produit le Rapport d’enquête sur le massacre commis solidairement à Moura par l’armée malienne et ses partenaires de la milice russe en mars 2022.

A l’heure où les agents de Wagner se projettent sur l’Afrique comme sur une proie, les pays encore épargnés ne sauraient rester indifférents à ce phénomène susceptible de s’inscrire dans la durée. Dans un contexte où une partie notable des opinions publiques succombe aux délices sournois de la désinformation, la guerre informationnelle se révèle comme porteuse de facteurs de déstabilisation des sociétés cibles. Les organisations régionales devraient inscrire au rang des priorités les réponses à apporter d’urgence aux menaces qui pèsent sur les pays dont la fragilité constitue une opportunité pour Wagner, cette entité aux multiples ramifications, dont le projet de conquête et de prédation ne s’embarrasse d’aucune nuance. Et moins encore d’une quelconque légitimité.

Francis Laloupo
Journaliste, Essayiste
Enseignant en Géopolitique

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