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Tribune: Afrique de l’Ouest : La démocratie bouge encore

Le message à la Nation du 3 juillet du président sénégalais Macky Sall et l’alternance pacifique à la tête du Nigeria en mai dernier sont venus atténuer la crainte d’un enterrement sans fleur ni couronne de la démocratie en Afrique de l’Ouest, après les cinq coups d’Etat militaires perpétrés au Mali, au Burkina Faso et en Guinée en moins de deux ans.

Au-delà du seul Sénégal où il était très attendu pour clarifier le jeu politique et dessiner le cap de la présidentielle de 2024, le discours prononcé le 3 juillet par le président Macky Sall a produit un écho retentissant dans toute la sous-région ouest-africaine.  Comme si l’avenir de la démocratie en Afrique de l’Ouest allait dépendre du propos du dirigeant sénégalais… Après les coups de canifs portés à l’expérience démocratique par le retour des pouvoirs kaki à Bamako, Ouagadougou et Conakry, toute aventure du président Macky Sall pour un troisième mandat pouvait sévèrement hypothéquer les fragiles processus de démocratisation.

Au début des années 90, l’Afrique de l’Ouest fut, sans doute, la région du continent ayant enregistré les avancées démocratiques les plus significatives, avec des alternances pacifiques à la tête de l’Etat au Bénin, au Mali, au Ghana, au Cap Vert, ainsi que des élections libres, transparentes et démocratiques au Niger… En dépit de quelques parenthèses malheureuses enregistrées (coup d’Etat de 2010 au Niger, rébellion armée et coup d’Etat de 2012 au Mali), l’expérience démocratique ouest-africaine a tout de même poursuivi son chemin. Au Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré a été réélu en décembre 2020 lors d’un scrutin transparent dont les résultats ont été reconnus sans hésitation par son challenger Zéphirin Diabré et l’ensemble de la classe politique ; au Bénin, le président béninois Yayi Boni s’est retiré du pouvoir en 2016, sans avoir cédé à la tentation du troisième mandat. Son homologue nigérien Mahamadou Issoufou en a fait autant en 2021…


Arrêt brutal

Dans ce contexte de trajectoire ascendante pour la démocratie, le coup d’Etat du 20 août 2020 contre le président malien Ibrahim Boubacar Keita (IBK) a fait l’effet d’un bombe, même si les errements de sa gouvernance laissaient craindre le pire des scénarios à Bamako. Le « coup d’Etat dans le coup d’Etat » du colonel Assimi Goïta en mai 2021 a fini par emporter l’espoir d’un retour rapide à un système démocratique au Mali. Les convulsions actuelles de la transition malienne autorisent même à penser que le chemin sera long et pénible pour renouer avec les promesses de l’ancrage démocratique en cours depuis la « révolution » de 1991.

La situation n’est guère plus brillante au Burkina Faso et en Guinée. Après avoir donné l’assurance qu’il respecterait l’agenda de la transition convenu entre la CEDEAO et le régime de Paul Henri Damiba (avec la fin de la transition en juillet 2024), les militaires burkinabé, auteurs du « coup d’Etat dans le coup d’Etat », semblent renvoyer aux calendes grecques le retour à l’ordre constitutionnel, au motif que la première urgence du pays serait la sécurité. Ceci est un argument de convenance. Qui pourrait dire exactement à quelle date précise la sécurité sera revenue ? Qui pourra précisément définir le niveau de sécurité suffisant pour aller aux élections ? Il n’y a qu’à observer ce qui se passe en Guinée pour être convaincu que le retour de la sécurité n’est qu’un prétexte pour empêcher le retour des civils au pouvoir. A Conakry et dans le reste du pays, bien qu’il n’y ait aucun signe de « crise sécuritaire », certains doutent encore de la volonté du colonel Mamadi Doumbouya d’organiser des élections pour remettre le pouvoir à un successeur démocratiquement élu. L’ancien caporal de la Légion étrangère française a pris goût au pouvoir, à son luxe, ses ors et privilèges. Même les promesses d’assainissement de la vie publique et de restauration de la bonne gouvernance annoncées en grandes pompes après le coup d’Etat de septembre 2021 semblent avoir vécu.

Coups d’Etat, double peine et lueurs d’espoir

Pour autant, ces transitions incertaines au Mali, au Burkina Faso et en Guinée ne tueront pas la démocratie en Afrique de l’Ouest. L’acte posé par le président sénégalais, à travers sa décision de s’en tenir à deux mandats, prouve qu’elle a encore des ressorts dans cette partie du continent. Après les alternances régulières au Bénin entre 1991 et 2016 – période des mandats de Nicéphore Soglo, Mathieu Kérékou et Yayi Boni -, au Niger avec Mahamadou Issoufou, ou au Nigéria avec Goodluck Jonathan et Muhamadu Buhari, Macky Sall rejoindra en 2024 la liste des chefs d’Etat ouest-africains ayant remis le pouvoir à un successeur, à l’issue d’une élection présidentielle à laquelle il ne se présente pas. Fait rare sur le continent, notamment dans la région voisine d’Afrique centrale où des chefs d’Etat tiennent des records mondiaux de longévité au pouvoir.

L’autre raison d’espérance pour la démocratie en Afrique de l’Ouest, c’est aussi l’échec des pouvoirs issus des coups d’Etat militaires au Mali, au Burkina Faso et en Guinée. Dans aucun de ces trois pays, les promesses post-coup d’Etat n’ont été tenues. Outre l’échec cuisant de la restauration rapide de la sécurité au Burkina Faso et au Mali, les pouvoirs kaki se sont plutôt illustrés par la confiscation des libertés et de graves atteintes aux droits de l’homme.

Au Mali et au Burkina Faso, c’est un sentiment de double peine qui domine chez les citoyens : celui d’avoir perdu l’espace d’expression des libertés publiques, et de n’avoir pas retrouvé la sécurité promise dans le but de légitimer les coups d’Etat successifs. Le même sentiment de double peine prévaut en Guinée où certains citoyens en arrivent déjà à regretter l’ère Alpha Condé, tant ils sont déçus par les errements de la junte au pouvoir à Conakry. Si la démocratie n’est pas un système politique parfait, il n’en reste pas moins le moins mauvais. En tout cas, il est, de loin, préférable aux coups d’Etat générateurs de multiples égarements dans la vie des nations.

 Macky Sall l’a compris en choisissant l’option de ne pas engager son pays dans l’aventure d’un troisième mandat porteuse de risques d’instabilité pour le Sénégal et la sous-région déjà perturbée par le défi sécuritaire et des transitions chaotiques au Burkina Faso, au Mali et en Guinée. 

Seidik Abba
Journaliste, Ecrivain,
Auteur de « Pour comprendre Boko Haram » (Edition L’Harmattan, Paris, 2021)

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