Depuis sa mise en place la CoLDEFF subit de fortes pressions, en termes d’attentes et de résultats. Non pas des pouvoirs publics ou des autorités de transition, mais des acteurs bien connus de la société civile qui voudraient l’orienter dans l’exercice de ses fonctions. Ils ont d’abord pour cela élaboré et publié des listes de dossiers vrais et faux triés sur le volet dans l’espoir de manipuler les membres de l’Institution. Ce fut après une cristallisation des orientations sur des faits de corruption ou de détournement qui concernent les responsables administratifs et politiques du régime déchu avant qu’ils ne basculent dans des critiques à l’endroit de la CoLDEFF accusée par les mêmes acteurs de dormir, de ne rien faire et d’être de mèche avec le régime déchu.
Malgré cette pression, les membres de la Commission de Lutte contre la Délinquance Économique, Financière et Fiscale (CoLDEFF) n’ont cédé à aucune pression, conformément à leur serment et aux recommandations du Président du CNSP qui prévenait que le travail de la Commission ne sera pas une chasse aux sorcières. Les membres de la CoLDEFF ont travaillé discrètement, sans tambours ni trompettes, nonobstant cette pression de certains activistes qui cherchaient à travestir les missions de l’Institution et orienter son champ d’investigation. Il a fallu un peu plus de quatre mois de travaux pour que son président, le Colonel de gendarmerie Abdoul Wahid Djibo, livre au grand public, le 16 février dernier, le premier bilan de leurs travaux. Un peu plus de quinze (15) milliards recouvrés en 3 mois d’exercice plein. Un motif de satisfaction pour bon nombre de nigériens qui ont salué la discrétion et le professionnalisme avec lesquels l’institution conduit ses travaux.
Mais depuis cette sortie médiatique de bilan, les activistes et les réseaux sociaux ont pris le relai, annonçant des interpellations vraies et imaginaires d’une part et les montants recouvrés d’autre part. Ce qui peut laisser croire qu’il y’a des fuites au niveau de la CoLDEFF dont les membres sont soumis au devoir de réserve durant l’exercice de leurs fonctions et même après. Les activistes, eux, ne sont ni assermentés ni investis d’une mission et multiplient les pressions faisant courir le risque à la CoLDEFF de basculement à une course vers une chasse aux sorcières. Une position inconfortable pour la CoLDEFF qui se trouve entre le marteau et l’enclume !
«Je jure de bien remplir et fidèlement les missions dont je suis investi, de les exercer en toute impartialité, dans le respect des textes en vigueur, de garder les secrets des investigations et des délibérations auxquelles je peux être amené à participer, de ne prendre ni manifester aucune position publique ou privée sur toute question relevant des attributions de la Commission et de le conduire en tout comme digne et loyal serviteur de l’Etat. En cas de parjure que je subisse les rigueurs de la Loi.», tel est le serment prêté par chaque membre de la CoLDEFF sur le Livre Saint de sa confession, le 16 Novembre 2023 avant d’être renvoyé à l’exercice de ses fonctions.
Certes les attentes sont fortes et les pressions sont légitimes ! Les nigériens sont unanimes qu’il faut lutter contre la corruption et recouvrer l’argent qui a été détourné par des fonctionnaires et des responsables politiques cupides et véreux.
Cependant, pour être efficace et crédible et être à l’abri de toute critique objective, la CoLDEFF doit travailler en dehors de toute pression, en toute discrétion dans le respect strict de textes en vigueur et des missions qui lui ont été confiées.
Ces missions définies par l’ordonnance 2023-09 du 13 septembre 2023 portant création, composition, missions et modalités de fonctionnement de cette commission sont connues de tous et bien encadrées. Il s’agit de :
- mener des investigations sur tous les faits de délinquance économique, financière et fiscale sur l’ensemble du territoire national ;
- Recevoir et traiter les rapports d’enquêtes économiques, financières et fiscales et les procès-verbaux de passation de service ;
- Exploiter les rapports d’audit circonstanciés ;
- Recouvrer les avoirs dus à l’Etat et ses démembrements
- Formuler des recommandations aux autorités compétentes.
Son devoir est aussi et surtout d’agir en toute impartialité et indépendance, dans le respect strict des textes en vigueur.
Or, le barreau du Niger et le Syndicat Autonome des Magistrats du Niger s’inquiètent sur certains aspects qu’ils ont qualifié «de graves manquements à l’état de droit » constatés ces dernières semaines, notamment devant la CoLDEFF «où des citoyens subissent des interrogatoires hors la présence de leurs avocats, ce qui constitue une grave violation de leurs droits.» Le bâtonnier Me Oumarou Sanda Kadri affirmait il y’a quelques semaines que «La CoLDEFF étant une institution publique, les personnes interpellées devant elle ont le droit de se faire assister par un avocat. Cette assistance ne fera aucun obstacle à ses investigations; par contre, elle doit elle-même s’attacher au respect de la règle de droit.»
Les récentes perquisitions opérées chez certains anciens dignitaires inquiètent aussi certains défenseurs de droits de l’Homme qui trouvent une porte ouverte à des dérives pouvant porter atteinte à la dignité humaine
Toutes ces interpellations de magistrats, du barreau, de certains citoyens ne sont ni fantaisistes ni manipulatrices. Elles sonnent comme une prévention pour que les membres de la CoLDEFF restent droits dans leurs bottes et qu’ils ne cèdent à aucune pression d’où qu’elle vienne.
La mission de la CoLDEFF est certes exaltante mais redoutable et ses membres qui sont entre le marteau et l’enclume doivent redoubler de vigilance pour ne répondre qu’à leur conscience conformément à leur serment
Adoum Boulkassoum