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Reportage/Zinder/ Protection de l’Enfant : A la découverte du "Sarkin Baki", un champion pour les enfants en mobilité

juillet 30, 2021 0 923
Mahaman Lawan Salé (Deuxième à partir de la gauche) , Sarkin Baki à la cour du Sultan Mahaman Lawan Salé (Deuxième à partir de la gauche) , Sarkin Baki à la cour du Sultan

Parler de hospitalité du Sultanat du Damagaram à un étranger qui manque d’endroit ou passer la nuit, renvoi automatiquement au ‘’Sarkin Baki’’, ou le Roi des étrangers. Ce titre de notable très proche du sultan est aujourd’hui assuré par Monsieur Mahaman Lawan Salé. Intronisé très jeune après la mort de son père, le quinquagénaire assure avec brio son travail. Celui, d’héberger les étrangers pour le compte du Sultan.  

« Le Sarkin Baki s’occupe des étrangers. Son travail consiste à s’occuper des personnes en difficulté qui entrent et sortent du territoire du sultanat », a expliqué l’intéressé. D’un travail ancestral pratiqué dans la pure tradition de l’hospitalité légendaire du Damagaram, le ‘’Sarkin Baki’’ pivote aujourd’hui entre tradition et exigence moderne, grâce à l’alliance tissée entre ce dernier et les services déconcentrés de l’Etat.  

La prise en charge des enfants en difficulté dans la région de Zinder, c’est aussi l’affaire des familles d’accueil. La région compte aujourd’hui 35 familles d’accueil fonctionnelles dont 13 pour la ville de Zinder. Tout comme le ‘’Sarkin Baki’’, ce mécanisme communautaire de prise en charge des enfants en difficulté fonctionne en synergie avec les services techniques en charge de la protection.

La Direction Régionale de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’Enfant et la police nationale sont les deux entités de l’Etat qui sollicitent le plus, les services du ‘’Sarkin Baki’’ et les familles d’accueil dans le cadre de la protection des enfants en mobilité.

‘’De Janvier à Juillet 2021, la Direction Régionale de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’Enfant a mis à notre disposition 200 enfants ressortissants de Kantché, refoulés d’Algérie via Agadez.  

A ceux-là, s’ajoute une quarantaine d’enfants venus des régions de Maradi, Tahoua et Diffa. « Au mois de mai, nous avons reçus des enfants filles et garçons venus du Cameroun, qui ont séjourné chez nous pendant au moins 27 jour ». Ces chiffres avancés par Sarkin Baki témoignent de l’ampleur du phénomène de la mobilité des enfants dans la région de Zinder. 

Enfants égarés, non accompagnés ou malades mentaux ou abandonnés, ils sont pris en charge par le ‘’Sarkin Baki’’ sur instruction du Sultan du Damagaram Aboubacar Sanda Oumarou, en attendant le retracement de leurs familles respectives par les services techniques compétents.

Le sultan de Zinder Aboubacar Sanda Oumarou

Le sultan de Zinder Aboubacar Sanda Oumarou

Grand dépositaire de la tradition, le Sultan rappelle le fondement et fonctionnement du « SARKI BAKI ». « Depuis la nuit des temps, le sultanat dispose d’un Sarkin Baki ou le roi des étrangers car bien avant les mécanismes modernes de prise en charge des étrangers, nos grands-parents offraient de l’hospitalité à tous ceux qui sont  de passage à Damagaram. Ce travail continue d’être assuré par le Sarkin Baki, de génération en génération », a indiqué le Sultan Aboubacar Sanda Oumarou.

« Nous hébergeons les enfants, les nourrir, les soigner et même les inscrire dans les écoles et les centres d’apprentissages. Nous donnons même en mariage les filles dont les familles n’ont pu être retracées. Beaucoup d’entre elles que nous avons donnés en mariage sont devenues mères et mêmes grands-mères aujourd’hui», a ajouté le Sultan de Zinder.

A Kwana Rahama, un quartier de la ville de Zinder, la maison de ‘’Sarkin Baki’’ est connue de tous. Un tour dans la résidence a permis à notre équipe de reportage de s’entretenir  avec les locataires. 

Trois enfants dont deux venus d’Agadez et le 3ème le plus âgé arrivé de Kano au Nigeria, 72 heures avant notre passage.

Visiblement très inquiets de la situation dans laquelle ils se trouvent, les hôtes de ‘’Sarkin Baki’ relatent les faits et les circonstances dans lesquelles ils ont atterri à Zinder.

«Nous étions en train de jouer dans un camion quand le sommeil nous a emportés. Il a fallu que la faim nous réveille pour que nous nous rendions compte que nous sommes dans un camion qui roule. Lorsque le chauffeur s’est arrêté, nous sommes déjà à Zinder », voilà les conditions dans lesquelles, le jeune Habibou Laminou, âgé de 14 ans et son ami Kabirou Bahari (13 ans)  se sont retrouvés dans la ville de Zinder. Arrivés dans une ville où ils ne connaissent personnes, les deux adolescents n’ont eu d’autre choix que de rejoindre un groupe de toxicomane de leur âge dans les alentours de la gare. C’est sur ce lieu de délinquance juvénile qu’un adulte les a repérés et conduits chez le ‘’Sarkin Baki’’.

Hébergés depuis 14 jours, ces enfants disent être à l’aise dans leur famille provisoire. «Nous nous sentons bien ici car nous mangeons bien et nous faisons même la lessive », s’est réjoui Habibou Laminou, qui manifeste par ailleurs son désir de rentrer chez ses parents à Agadez.

Pour Mahaman Lawan Salé, ‘’Sarkin Baki’’, ces scènes se jouent chez lui au quotidien. L’ange gardien des enfants en difficulté explique le processus d’accueil et d’hébergement d’un enfant.

«Avant, les choses étaient concentrées au niveau du sultanat. Avec l’évolution du monde  et grâce aux formations que nous recevons avec la Direction Régionale de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’Enfant, nous avons acquis des connaissances sur les droits des enfants et des femmes.»

La mairie a mis à notre disposition un local au niveau de la gare où nous hébergeons dans un premier temps les étrangers.

Dès que la DRPFPE, la police ou les chefs des quartiers et des villages nous amènent des étrangers, nous faisons un tri pour séparer les adultes des enfants. Nous remplissons une fiche pour chaque personne et nous les répartissons en fonction de l’âge et du sexe. Nous nous occupons d’eux, le temps que la DRPFPE retrace leurs familles », a expliqué Mahaman Lawan Salé.

Dans le cas où les familles des enfants n’arrivent pas à être retracées, ils deviennent d’office des enfants adoptifs du Sultan. Ils sont à la charge du Sultan et le ‘’Sarkin Baki’’ s’occupe d’eux jusqu’à leur majorité », a précisé ce dépositaire de la tradition. .

Le mécanisme traditionnel de prise en charge temporaire des enfants en difficulté, c’est aussi les familles d’accueil. Cette pratique exclusive à la région de Zinder épaule le Sultanat et les services déconcentrés de l’Etat dans leurs efforts d’héberger les enfants en mobilité.  

Contrairement au Sarkin Baki qui a hérité de son titre, les responsables des familles d’accueil sont désignées eu égard à leur statut social (Notables, Commerçants) et aussi remplissent certains critères (L’engagement, Le volontariat, Être de bonne moralité,  Être chef ménage avec femmes et enfants, Avoir assez d’espace pour accueillir des étrangers, Avoir l’amour des enfants…).

La pratique ancienne des familles d’accueil, a été encadrée à partir de 2014 avec l’évolution du travail, des pratiques, des principes, les procédures de prise en charge, les services de protection de la région de Zinder en collaboration avec le juge des mineurs à travers  un processus de sélection et une formalisation des familles d’accueil aptes à recevoir les enfants.

Ali Yaro, chef du quartier Malam Yaro dans la ville de Zinder est issu d’une famille connue  dans la prise en charge des enfants en difficultés. « J’ai hérité de cette pratique de famille d’accueil. Nous ne recevons pas que des enfants égarés, nous recevons aussi des enfants qui fuient leurs familles à cause des conditions de vie. J’accueille actuellement 30 à 35 enfants qui viennent d’horizons divers. Il y a des enfants de Maradi, de Niamey et des natifs de Zinder »,  a souligné le chef de la légendaire famille d’accueil.

Ali Yaro entouré des denfants dans sa famille d acceuil

Ali Yaro, chef du quartier Malam Yaro dans la ville de Zinder entouré des d'enfants dans sa famille d acceuil

Entourés de ses protégés parmi lesquels des refoulés d’Algérie comme  Fatouma Batoula, ressortissante de Matameyé, expulsée d’Algérie au moment où elle servait de guide mendiant pour sa grand-mère.

Ayant séjournée trois fois de suite en Algérie, cette récidiviste donne l’impression d’être lassée par la migration temporaire qu’elle mène depuis quelques années.

«C’est d’Algérie que j’ai été refoulée il y a 1 mois et demi. J’étais partie mendier avec ma grand-mère qui est toujours là-bas. Ici on nous sensibilise sur les conséquences de la migration. Je préfère rentrer chez moi à Matameyé que de continuer », a laissé entendre Fatouma Batoula, âgé de 17 ans.

Fatouma Batoula expulsée dAlgérie

Fatouma Batoula expulsée d'Algérie

Les enfants sont bien intégrés dans la famille d’accueil d’Ali Yaro, où il est difficile de différencier l’étranger des enfants du propriétaire des lieux.

Accueillant des enfants depuis des générations, les moyens de prise en charge des enfants  s’amenuisent avec le temps, d’où le cri de cœur de Ali Yaro envers les bonnes volontés.

«Je lance un appel à l’endroit de l’Etat pour qu’il nous appui. Avec plus de moyens, nous allons mieux nous occuper des enfants. Nous avons deux maisons, celle d’en face héberge des enfants plus âgés », a notifié Ali Yaro avant de remercier l’Unicef pour ses appuis pour les enfants.

« L’Unicef, c’est le leader en matière d’appui pour les  enfants. Nous savons que l’Unicef nous appuis même si c’est par le biais d’autres organisations », a-t-il reconnu.    

Modernité oblige, le ‘’Sarkin Baki’’ et les familles d’accueil travaillent aujourd’hui en étroite collaboration avec les chefs des quartiers, la police, la gendarmerie et surtout la Direction Régionale de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’Enfant. Cette dernière appui d’ailleurs le Sarkin Baki et les familles d’accueil avec des formations et autres activités génératrices de revenus pour les femmes issues de ces familles d’accueil.

Les structures étatiques qui font recours au service de ‘’Sarkin Baki’’ saluent cette mutualisation  des efforts entre les structures traditionnelles et modernes qui concourent au bien-être des enfants.

« Aujourd’hui à Zinder, les familles d’accueil font pleinement parti du système local de protection de l’enfant. Leur apport dans la prise en charge des enfants en mobilité n’est plus à démontré », a indiqué Mme Abdoulaye Rabi, Directrice Régionale de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’Enfant.  

La DRPFPE de Zinder

Mme Abdoulaye Rabi, Directrice Régionale de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’Enfant

«Nous sommes dans une zone fortement impactée par la migration. En collaboration avec les familles d’accueil, nous gardons les enfants en mobilité le temps de retrouver leurs familles. La DRPFPE finance ces familles grâce à l’appui de l’Unicef », dixit M. Maiga Harouna Issa, travailleur social à la DRPFPE de Zinder.    

Maiga Harouna Issa travailleur social à la DRPFPE

Maiga Harouna Issa, travailleur social à la DRPFPE

Le juge des mineurs Boubacar Abarchi Abdoulkader de saluer la mutualisation des efforts entre les familles d’accueil et les services techniques surtout que l’Etat n’a pas créé suffisamment du mécanisme de la prise en charge, a martelé l’homme de droit.

Boubacar Abarchi Abdoulkader juge des mineurs au tribunal de Zinder

Boubacar Abarchi Abdoulkader, juge des mineurs au tribunal de Zinder

Intervenant dans la protection des enfants, l’ONG nationale CONAF par la voix de Salissou Zakari, responsable du projet enfants talibés et retournés du Nigeria Zinder-Maradi financé par Unicef, salue le partenariat avec les familles d’accueil car selon lui, elles permettent  aux enfants en situation de vulnérabilité d’être fixés et d’avoir une régularité sociale et  la chaleur familiale.

Salissou Zakaria responsable projet retournés du Nigeria

Salissou Zakaria, responsable projet retournés du Nigeria

Compte tenu de leur importance sociale et face à l’insuffisance des infrastructures de prise en charge des enfants en mobilité, les services de ‘’Sarkin Baki’’ et des familles d’accueil ont encore des beaux jours devant eux.

Ibrahim Moussa,

Envoyé spécial

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Dernière modification le vendredi, 30 juillet 2021 04:21
La Rédaction

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