Imprimer cette page

Hommage à STJ : Révérence d’un éternel militant

août 15, 2022 0 999

Auteur : Ali R. Sékou

Nous avons déjà publié un hommage posthume à la mémoire du regretté Sanoussi Tambari Jackou, l’éternel militant, vétéran et animateur de la politique nigérienne. Le présent témoignage nous vient d’un de ses amis de prison en l’occurrence Ali R. Sékou, un militant de la démocratie tout aussi libre et indépendant, le premier Directeur de publication du journal Niyya, facilement reconnaissable par son style fleuri, la profondeur de ses analyses, la finesse et l’harmonie de ses descriptions. Ali R. Sékou livre, ici, à nos lecteurs un abondant et pathétique témoignage sur quelques aspects de la vie du Tonton STJ.

Inna lillahi wa ina ileyhi rajioune Kulli Naafsi zaikatimoull !

Ces dernières décennies, STJ tu étais tellement présent sur les champs médiatiques et politiques qu’on te pensait immortel tant tu as franchi tous les obstacles, échappé au crucifix du régime du PPN-RDA, à celui d’exception du CMS et même d’autres plus tard... Tel un fonctionnaire tu étais, fréquemment affecté, pas de poste à poste mais, de centre de détention en centre détention. Rien que sous Kountché des commissariats, aux Renseignements Généraux, au Bureau de Coordination et de Liaison (BCL) tu as été muté à la tristement célèbre prison de Daykaïna à Tillabéri. Dans cette prison située à quelques encablures de Niamey, tu étais toujours source de craintes pour les chefs de la junte militaire. On t’affecta au Camp Pénal d’Agadez. Là encore, le régime d’exception se rendit compte qu’Agadez est une grande ville carrefour, un port intérieur, un pont vers la Libye et l’Algérie ! On ne sait jamais, ce qui peut arriver avec un ex soutien du FLN, à quelques kilomètres de Tamanrasset en Algérie… Tu fus muté à Bilma, ville isolée et coupée de toute voie internationale de communication... Là aussi, tu étais considéré comme un « virus » susceptible d’établir des réseaux avec la population locale et de contaminer les prisonniers de droit commun, des malfrats, meurtriers et autres bandits de grands chemins considérés comme plus saints. On t’extirpa de Bilma pour te confiner au camp militaire de Dirkou.  Là aussi, le régime estima qu’il était plus sûr de t’amener où il n’y avait aucune population. Tu te retrouvas en Goulag Sibérie nigérien, le poste militaire retranché de Dao Timi à 2000 Km de Niamey où, on ne rencontrait aucun village, aucune âme qui vit à 100 Km à la ronde. Il n’y avait que des militaires, base sociale supposée du régime de terreur.

Le militant éternel

Les longues années de prison, les peccadilles ou « Wassan Kara » d’arrestations ou d’interpellations post Conférence Nationale n’ont pas eu raison de tes échines, de tes convictions. Comme dit le proverbe africain « qui gobe une noix de coco fait confiance à son anus ». Toi, tu n’as pas fait le choix de la facilité, tu es resté debout !  Tel l’Hydre tu as construit ta résilience et su relever la tête et renaitre des supplices pour poursuivre ton éternel combat contre les oligarchies dirigeantes aux côtés des classes opprimées pour le triomphe de la liberté, de la démocratie et le bien-être général. Tu as fini par recouvrer ta liberté.

Personne n’a la vocation du martyr mais tu as presque opté pour ton destin en disant la vérité. Plus que quiconque, tu savais que la vérité était un acte subversif sous les régimes d’exception. Les opportunistes savent, plus que tous, que pendant la tempête il faut se taire et ne parler que quand le calme revient où sur commande des princes du moment. Mieux, ils ont internalisé l’adage qui dit « Qui flatte le crocodile peut se baigner tranquille ». Tu n’es pas un flatteur, mais un prince… de Gauche. Aujourd’hui Sanoussi, ils sont, malheureusement, nombreux, ces postiches « diseurs de vérités » pullulant, sortis de je ne sais quelle galerie révolutionnaire mythique, pour s’attribuer la paternité des actes fondateurs de notre Démocratie !

L’arène politique nigérienne a, véritablement, perdu le 18 juillet dernier, son Spartacus, ce gladiateur à l’origine de la 3ème guerre servile, le plus important soulèvement d’esclaves et de déshérités contre l’arrogance de la toute puissante esclavagiste et inégalitaire de la République Romaine. Spartacus, le Gladiateur, a rendu l’âme en 71 av Jésus Christ mais, son idéal reste actuel et popularisé par des films, des séries télévisées, des pièces de théâtres, des écrits. La vérité est éternelle !

Jackou ta vie c’est la lutte, tu es toi-même la personnification de la lutte, lutte non pas pour une désoccidentalisation lyrique ou lutte « contre » pour seulement être contre, mais pour que l’Homme soit au cœur des préoccupations publiques et porteur de ce qui est meilleur et juste pour lui-même et ses semblables. C’est pourquoi tu es un militant éternel qui sera de toutes les luttes passées, présentes et même futures après ta disparition physique car ton message est universel. Il se vaut pour l’ouvrier de la défunte SOMAIR comme pour les employés de Uber ou de Amazon qui, contrairement à leurs pairs nigériens, doivent conquérir le simple droit de se syndiquer aux …Etats Unis en ce 21ème siècle !

STJ es-tu marxiste, socialiste, libéral, anarchiste, islamiste ?

Absolument rien de tout ça mais, un peu de ce qu’il y a de bien, d’humain dans tout ça. « Je pense donc je suis » disait un philosophe, STJ, tu es toi-même ! Ta doctrine s’est construite sur ta longue trajectoire et expérience de quête de ce qui est juste et bon à tes yeux. Celui qui pense t’avoir comme militant inconditionnel et te contenir dans des schèmes ou dogmes de pensées se trompe lourdement, un bout de chemin ensemble à faire avec toi c’est du domaine du possible mais, t’aliéner c’est inimaginable. Tu es un électron libre, un allié naturel des forces politiques progressistes, de la presse, de la société civile mais tu n’es l’esclave de personne d’entre eux… Tu es toi et ta doctrine tu l’as construite au fil de ton expérience au cours de ta longue existence auprès des opprimés et de ceux qui veulent changer l’ordre inique.

Cependant, tu crois en l’action des masses, à la démocratie, à la dévolution du pouvoir par la seule voie du suffrage populaire, tu n’es pas putschiste ou chercheur de voie facile derrière une société civile « neutre » et si vile. C’est pourquoi tu t’es converti à toutes les fonctions de représentation ou requérant une légitimité et fonder la CDS RAHAMA avec les Mahamane Ousmane. Le cadre idéologique ne te sied pas, tu étais à l’étroit. Attendre qu’on te rende « Honneur et Bonheur » en dehors de ta vision c’est, pour toi, la voie royale d’être malheureux, une humiliation ! Après ta démission tu aurais pu adhérer au PNDS avec qui tu partages beaucoup de valeurs. Tu as, toujours, été un de ses alliés le plus sûr et tu aurais pu y faire carrière et peut-être accéder à son Présidium.  Le nomadisme politique ou le cabotage d’une mouvance à l’autre n’est pas ton point fort. Ton ventre n’a jamais été ta boussole politique. La facilité n’est pas ton credo. Pour rester toi, tu as choisi de ne pas être dans un corset et garder ta marge de liberté, tu as préféré créer ta propre formation politique, le PNA, avec tout ce que cela comporte comme charges de fonctionnement et autres. A travers toi, le PNA est devenu, pas une foudre électorale mais, une force morale incontournable de l’échiquier politique nationale.

Sanoussi, je puis te dire que ta mort a affligé plus d’un nigérien jusqu’à celui qui a été plébiscité pour conduire notre destin pour 5 ans, ton Petit Frère Bazoum qui t’appelait affectueusement « Grand Frère ». Il a été, autant que ta famille nucléaire, terrassé par ta disparition. Tu avais fait, en sa compagnie, ton dernier voyage, j’allais dire pèlerinage, en Algérie du 4 au 5 juillet où tu fus décoré en reconnaissance de tes aides aux Fellaghas et autres Moudjahidines du FLN à qui, malgré tous les risques, tu donnais refuge en France et dont tu étais un des porteurs de valises. Au cours de votre vol, le Président prenait grand soin de toi et te portait une attention particulière qui fit plus d’un jaloux…

STJ, que pourrais-je dire encore de toi que les nigériens ne connaissent pas ! J’ai entendu parler de toi, jeune lycéen en 1975 suite à la tentative du coup d’Etat du Commandant Moussa Bayero où Kountché dans une longue litanie avait évoqué ton nom comme idéologue dans l’affaire « Moukouzou » en réalité Mou Ko sou, littéralement en français Nous ou Eux, faisant allusion aux deux ethnies majoritaires du Niger, tu n’appartenais à aucune d’entre elles. Cette déclaration qui impacta négativement l’unité nationale a été l’occasion de te coller l’épithète d’ennemi des Songhaï/Zarma…tes parents à plaisanterie ! Toi, tu n’es pas Hausa mais un Kel Tamasheq. Tu es le produit d’un brassage multi ethnique allant des Gobirawa, Fulfuldé et autres, bref, un concentré de la pluralité culturelle de notre pays : du Gorouol au Mangari, de l’Azawak au Damagaram. Dans ta descendance, on compte plus des Kanuri, 20 petits fils sur 22 et quelques arrières petits fils de l’ethnie dont on t’a affublé d’être l’ennemi. Peut-être un jour l’un d’entre eux se présentera comme un successeur de sa majesté le sultan de Dosso, Djermakoy Maidanda, qui connut un parcours aussi tumultueux que le sien, l’exil en Guinée, l’emprisonnement arbitraire...

Je sais que tu as souffert de cette épithète collée à toi. Ton alliance matrimoniale avec notre sœur Françoise, une française de souche, convertie à nos mœurs locales, cette grande dame tropicalisée n’est-elle pas, en soi, le symbole de ton universalité transcendant les instincts bestiaux de ceux qui font commerce de ce genre de considérations.

STJ, difficile d’être un précurseur en politique, en art, en littérature, voire en science. Charles Baudelaire auteur de Les Fleurs du mal dont nombre de lycéens ont étudié le fameux poème l’Albatros, en 1ère, fut un incompris à son époque. Il en fut de même du géomètre, physicien et astronome Galilée condamné par les inquisiteurs pour avoir dit que la terre est ronde et tourne autour d’elle-même et du soleil…. La vérité finit toujours par triompher.

STJ, les propos de bas étages à ton endroit ne visaient qu’à permettre au patron du CMS de l’époque d’être « Seul Maître à bord du Bateau Niger ». Enfermer en cale un matelot comme toi, on ne peut plus, turbulent et empêcheur de tourner en rond devenait un simple objectif. Tu aurais une quelconque responsabilité ou avoir été l’idéologue de ce complot, le maître du CMS, n’hésiterait pas, un seul instant à te guillotiner ou à te faire passer au peloton d’exécution comme le furent le Commandant Bayero, Guy Tyrolien, Ahmed Moudour et leurs 5 autres compagnons… on t’enferma, une décennie durant, sans inculpation à fortiori un procès. Par la grâce de Dieu, la longévité t’a permis de te défaire des stéréotypes et préjugés immondes même s’ils ont la vie tenace… La vérité doit être rétablie. « Les dromadaires nigériens se tordraient la bosse de rire » si tu avais une once de tribalisme, toi qui épousas une femme blanche au-delà de la Méditerranée, le racisme même t’est étranger. Dieu nous observe et nous juge !

Au-delà, de l’Affaire « Moukouzou », les autres informations sur toi je les ai eues par le canal de votre jeune frère Alat Mogaskya qui a été détenu, des années durant, dans l’ignoble prison civile de Ouallam au motif de t’avoir connu en liberté…

Quelques années après j’eus l’honneur, avec mes 6 autres camarades étudiants déportés, de te rencontrer en chair et en os à Dao Timi. La prison crée des intimités, des familiarités qui permettaient de ne pas avoir honte de se déshabiller et se plier en deux sur ses deux pieds devant ses pairs détenus pour faire ses besoins dans un demi tonneau aux bords tranchants qui faisait office de WC dans une minuscule chambre non aérée… pour les uns et les autres nos forces et faiblesses ne sont pas dissimulables… C’est pourquoi je demanderai au lecteur de ne point s’offusquer, d’être indulgent si je te tutoie, STJ.

Le Professeur

Enseignant tu l’es ! Mais, tout sauf un docte, professant intra-muros, entre 4 murs. Ta salle de classe est extra muros, tu professes, tu éclaires partout : dans les casernes où tu es détenu, les prisons, les causeries privées ou publiques, ta Fada, les médias, les tribunes, les meetings, les réunions, les conférences, le parlement, tes publications, tes journaux…. Il n’y a aucune discipline qui t’échappe : l’Economie, le Droit, l’Histoire universelle, nationale, la Théologie, les Relations Internationales, les Sciences Politiques, Humaines, bref, tu es une encyclopédie vivante, doté d’une mémoire prodigieuse. On aurait cru, qu’en lieu et place d’un cerveau, que tu as un disque dur où sont stockés d’incommensurables bases de données que l’âge, pour ne pas dire le temps, n’ont su entamer… Il me revient une histoire que tu m’avais racontée en 1984. Tu me disais qu’un jeudi, le mois je l’ai oublié, de 1958 toi et Djibo Hamani, alors élèves au Collège Classique et Moderne, l’actuel lycée Korombé, vous vous étiez rendus devant la Direction Générale de la Police en tenues Kaki, la chemise de Djibo n’avait pas le 3ème bouton. Subitement apparut en face sur le perron du Conseil Général (Assemblée Nationale) le grand Boubou Hama avec sa légendaire pipe et portant un majestueux boubou bleu avec des bandelettes blanches. Se rappeler d’un bouton manquant, 26 ans après, il faut STJ !

A Dao Timi, personne ne t’appelait par ton nom ou prénom, tu étais simplement pour tous « Mallam », le marabout, le maître, en raison de ta maîtrise de la science islamique et de la théologie tout court.  Au-delà du Saint Coran, des principaux hadiths que tu connais bien, tu es au cœur du débat religieux. Les œuvres de Saint Thomas d’Aquin, de Maxime Rodinson, des polémistes tel Roger Garaudy, tu nous les as fait découvrir en prison avec mes camarades, feu Doka Noma, Abdou Dan Mallam, Abdou Ibo et Alassane Abdoulkarim… Les militaires étaient séduits et craignaient tes connaissances religieuses et tes dons de prédiction. Très vite, tant tu étais influent, on leur avait interdit eux, tout contact avec toi et toi de continuer à « donner » la prière… Le seul porteur de tenue qui pouvait t’approcher sans être voué aux gémonies était Ibroh Bacharou Amadou alors, infirmier. Il a su tirer le meilleur parti de ta fréquentation, il continua ses études pour devenir officier supérieur ! Combien sont-ils les hommes de rang, sous-officiers à qui tu as impulsé le goût d’étudier et de promotion méritée. Les militaires venaient te consulter en catimini pour une prière propitiatoire, éloigner un maléfice, se cultiver ou pour, simplement, l’interprétation d’un rêve fait la veille… A ce sujet, tu avais défié la foi du jeune marxiste prosélyte que j’étais en interprétant le rêve d’un militaire pour prédire l’imminence d’un évènement grave qui devrait secouer le régime au Niger ou dans un pays voisin. Quatre jours après nous apprenions la tentative de coup d’Etat de Bonkano et le déroulé des évènements était comme tu l’avais dit… Le CMS avait, peut-être, raison de te craindre en liberté comme en prison.

Professeur STJ, tu as toujours eu la vivacité d’esprit de trouver des concepts ou des mots très vite internalisés par le commun des nigériens tel « Vertigo » qui recouvre des réalités complexes, appelées ailleurs « Nomadisme politique », « à plat ventrisme », « tube-digestisme » mais qui décrit l’incapacité de certains acteurs politique tirés par leur ventre à vivre hors du pouvoir au risque d’emprunter des raccourcis anticonstitutionnels.

Le généreux

Si elle pouvait être symbolisée ou personnifiée, la générosité c’est toi STJ. Tu n’as rien à toi, ce qui t’appartient, appartient à tous, raison sans doute pour laquelle tu n’as aucune richesse meuble ou immeuble connue accumulée à l’instar de certains hommes politiques… Pourtant les occasions ou les opportunités ne t’ont guère fait défaut.  Ce que tu perçois tu le partages, en bon prince, avec ton entourage du moment. C’est connu, dès que tu reçois un présent tu le partages équitablement avec tous les présents. Gare à celui qui ne quitte pas immédiatement car STJ après avoir distribué ta part à de nouveaux arrivants tu reprends ce que tu as offert un peu plus tôt aux autres pour satisfaire de nouvelles requêtes …La mécanique tourne comme une horloge, ton bureau comme ton domicile étant accessibles à tous : puissants comme roturiers.

Cet altruisme, ce don de soi en prison comme en liberté sont tes traits caractéristiques. Le matériel est le cadet de tes soucis sauf s’il doit servir ou contribuer à la réalisation de ton idéal de justice.

STJ, je peux être encore plus prolifique sur les témoignages mais, je dois finir en disant que tu es honnête, un homme de foi, de conviction. Les valeurs que tu as portées sont universelles et tes idéaux seront éternels. L’orphelin n’est pas celui qui a perdu son père et sa mère, dit-on, mais celui qui a perdu espoir. Le message que tu portes, STJ, est saturé d’espoirs. Tes idées rayonneront sur le Niger, à l’instar du Sphinx devant les grandes pyramides du plateau de Gizeh en Egypte.

Tu es parti STJ, nous ne sommes pas orphelins !

« Luta continua » comme disait Docteur Edouard Mondland du Frelimo durant la dure lutte de libération du Mozambique. 

Une vie si riche et une fin glorieuse comme la tienne, ils sont nombreux qui les souhaitent pour eux-mêmes. Adieu Mallam, que Dieu t’accueille dans son paradis éternel. Amen

Niyya infos 121 09/08/2022 16:33 Pages 7 et 8

Évaluer cet élément
(0 Votes)
Ibrahim Moussa Illagamo

Dernier de Ibrahim Moussa Illagamo