Monsieur le Premier ministre, le gouvernement vient d’adopter le Rapport de suivi de l’action gouvernementale au titre du 1er semestre 2022. Quelles sont les performances à retenir de ce rapport ?
Comme vous le savez, l’action gouvernementale au cours de ce semestre a évolué dans un contexte particulièrement difficile. D’accord nous avions enregistré une année 2021 déficitaire. Nous venons de sortir d’une crise sanitaire qui a affecté l’ensemble des pays du monde et nous sommes également confrontés à une crise internationale liée aux conflits entre la Russie et l’Ukraine. En plus de cela, vous savez aussi que nous évoluons dans la situation d’insécurité qui caractérise la région du Sahel. C’est donc dans ce contexte que l’action gouvernementale s’est déroulée au cours de ce premier semestre 2022. Malgré cela, les résultats appréciables ont été atteints. Et terme de résultat, nous avons atteint 45% de nos objectifs.
Les crises géopolitiques constituent un élément important du contexte actuel. Quelles sont, monsieur le Premier ministre, les mesures prises par le gouvernement pour s’adapter à ce contexte et ensuite assurer la stabilité du cadre macroéconomique du pays ?
Dans des situations de ce genre, évidemment tous les gouvernements du monde, parce que c’est une crise mondiale, essayent dans la mesure du possible de stabiliser le cadre macroéconomique. Et c’est ce que nous avons fait au Niger. D’abord, pour que la crise ne se traduise pas par une forte détérioration du pouvoir d’achat, nous avons essayé de lutter contre l’inflation à travers les ventes à prix modéré de céréales et aussi à travers les négociations que nous avons eues avec les opérateurs économiques pour que certains produits soient détaxés. C’est le cas par exemple de l’huile alimentaire qui est un produit de grande consommation, de la farine de blé et du sucre. Donc, suite à la détaxation de ces produits, suite également aux actions massives de vente à prix modéré des céréales que le gouvernement a engagé, nous nous sommes retrouvés avec un taux d’inflation relativement faible comparé aux autres pays de la sous-région.
Monsieur le Premier ministre, votre gouvernement a initié des réformes pour améliorer la mobilisation des ressources internes. Pensez-vous que ces réformes ont porté leurs fruits et répondu à vos attentes ?
En ce qui concerne la mobilisation des ressources, les actions menées par le gouvernement concernent d’abord l’efficacité des services fiscaux, ensuite la lutte contre la fraude et contre le déversement mais également la lutte contre l’incivisme fiscal. Vous avez certainement tous attendu les réformes qui ont été introduites à la Direction Générale des Impôts, notamment l’introduction de la facture certifiée et celle du système informatisé de suivi des contribuables. Ces mesures ont porté leurs fruits et grâce aux efforts faits au cours de ce semestre, nous avons pu atteindre 42% de nos objectifs en matière de recettes pour le semestre. Ce chiffre de 42% est très appréciable, parce que dans les années précédentes, les réalisations tournaient autour de 35, 36 %. Ce qui se traduit, en termes de volume, par le recouvrement de 488 milliards FCFA, de recette fiscale interne lors dudit semestre.
Monsieur le Premier ministre, dans le domaine de la lutte contre la corruption, le défi est toujours énorme et l’opinion ne perçoit pas de réels progrès malgré les efforts de votre gouvernement. Qu’est ce qui plombe la lutte contre la corruption et l’impunité au Niger ?
Le Président de la République a réaffirmé dans son discours d’investiture que la lutte contre la corruption et les infractions assimilées constitue une grande priorité de son mandat. Il en est de même pour ce qui concerne le gouvernement dans la Déclaration de Politique Générale. C’est pourquoi, le Niger s’est doté de plusieurs organes de contrôle et de lutte contre la corruption, le détournement des deniers publics et les autres infractions. Ainsi, nous avons la Cour des Comptes, la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA), la CENTIF, qui lutte contre le blanchiment d’argent, l’Inspection Générale d’Etat, les Inspections des finances et les Inspections des services, l’Agence Judiciaire de l’Etat. Tous ces organes concourent à la lutte contre la corruption et les infractions assimilées. Malheureusement, au niveau du public, on ne voit que l’aspect judiciaire, alors que la lutte contre la corruption et les infractions assimilées est une lutte multiforme. Elle comporte plusieurs aspects. Le premier aspect, c’est d’abord le cadre législatif et règlementaire, le deuxième aspect, c’est la sensibilisation et la formation des acteurs, le troisième est relatif au contrôle, en vue de détecter des fraudes et des infractions concernées et enfin le quatrième aspect est judiciaire.
Et, c’est sur cet aspect que les citoyens attendent le gouvernement. Que répondez-vous à ceux s’impatientent de voir certains dossiers rapidement traités ?
On a l’impression qu’on ne se focalise que sur l’aspect judiciaire, hors vous savez que la justice est comme l’armée, c’est une grande muette. La justice ne parle pas. Les dossiers sont pendants à la justice mais les magistrats font leur travail et ils ne sont pas obligés de communiquer sur les dossiers qu’ils gèrent. En ce qui concerne le cadre législatif et réglementaire, le Niger est en avance sur beaucoup de pays, en matière de mise en place de ce cadre. Nous avons transposé tous les textes de l’UEMOA et de la CEDEAO, en ce qui concerne la lutte contre la corruption. Nous avons également transposé tous les textes de l’Union africaine, dans ce domaine-là. Nous avons aussi ratifié plusieurs conventions internationales dans ce domaine. Nous élaborons un rapport annuel à toutes ces Instances par rapport à ce cadre règlementaire. Concernant la sensibilisation, les organes que j’évoquais tantôt, ont tous des plans d’actions financés par le gouvernement et les partenaires. Dans ces plans d’actions, la sensibilisation constitue un volet essentiel. Les informations régulières diffusées, d’ailleurs par vos organes, relatent l’organisation de plusieurs séminaires organisés par la HALCIA, la CENTIF, l’Agence de Régulation des Marchés Publics, pour justement former les acteurs et les sensibiliser sur la corruption et sur les infractions assimilées. En ce qui concerne les actions de détection des fraudes, nous conduisons beaucoup de missions d’inspection, au niveau des différents Ministères et des différentes entités qui reçoivent l’argent public. Ces missions permettent de mettre le doigt sur ce qu’il ne faut pas faire. C’est-à-dire qu’elles ont un double objectif. Le premier est pédagogique, c’est de détecter s’il y a des possibilités ouvertes de corruption ou de détournement. Ce qui conduit à la reforme de nos textes. En effet, pas plus tard qu’aujourd’hui, nous venons de réviser notre code des marchés, et cela, compte tenu des observations qui avaient été formulées par les précédentes missions de la Cour des Comptes et des différentes inspections des services. En plus, lorsque les rapports sont élaborés, ils sont transmis à l’Agence Judiciaire de l’Etat (AJE), qui mène d’importantes actions de recouvrement, lorsqu’elle voit que l’argent public a été mal dépensé ou dépensé à des fins personnelles. Ensuite, les dossiers sont également transmis à la justice, sur lesquels, comme je disais, elle n’a nul besoin de communiquer, malgré le travail efficace qu’elle mène. Donc, c’est pour dire que c’est juste une affaire de perception. Les gens veulent le spectacle, malheureusement avec la justice, on n’a pas cette possibilité d’assister à ce spectacle, consistant à dire qu’on a arrêté x ou y, ou bien qu’il y a tel ou tel dossier en instruction. Car, justement la justice fait attention à la présomption d’innocence. Je peux vous réaffirmer que le Président de la République et le gouvernement sont fortement engagés dans la lutte contre la corruption et les infractions assimilées. Du reste, l’objectif de cette lutte, ce n’est pas qu’il ait le maximum d’arrestation, c’est le fait qu’il ait le moins de cas possibles. Aujourd’hui, on sent l’effet des actions qui sont menés dans ce combat contre la corruption et d’autres infractions assimilées. Prenez juste le cas des examens et des concours, on n’entend plus parler de fraude aux examens, ni de concours annulés, encore moins des épreuves de Bac ou de Brevet sur lesquelles on est obligé de revenir et cela parce que des dispositions ont été prises pour que la HALCIA suivent, pas à pas, l’évolution de ces dossiers, de la préparation jusqu’à l’exécution. Aujourd’hui, nous sommes très satisfaits des résultats qui sont donnés, particulièrement, dans le domaine de l’éducation.
Dans le domaine de la sécurité on constate une accalmie par rapport aux récurrentes attaques perpétrées par les groupes armés terroristes. Qu’est-ce qui explique cet état de fait ? Quelles sont les actions majeures du gouvernement qui ont permis de consolider les efforts en matière de paix et de sécurité ?
La question de la paix et de la sécurité est une question extrêmement fondamentale pour le gouvernement. Par ce que, s’il n y a pas de paix, s’il n y a pas de sécurité, il n’y a pas d’État. Notre objectif, c’est justement de construire un État démocratique mais un État fort et stable. Donc, l’objectif général de l’action gouvernementale dans le domaine de la paix et de sécurité, c’est d’abord de protéger nos frontières, de faire en sorte qu’il ne puisse pas avoir un pan du territoire national qui ne soit contrôlé par l’État. Et aujourd’hui, il est unanime de reconnaître que cet objectif est relativement atteint, à part les actions qui se passent à nos frontières et elles sont nombreuses en provenance des pays voisins, c’est notamment le cas pour ce qui concerne la zone du Lac-Tchad avec les activistes de Boko Haram, le Nord du Nigeria avec les bandits armés qui opèrent dans la région de Maradi, l’Ouest avec ce que nous connaissons avec comme phénomènes de l’EIGS et également d’Al-Quaida dans le grand Sahara. Mais nous faisons en sorte que toutes ces actions qui se déroulent au niveau de nos frontières, ne puissent pas rentrer à l’intérieur du pays.
Alors comment on est arrivé à juguler tout cela ? Nous nous sommes dit que pour faire la guerre, il nous faut une armée, et une armée de professionnels. Donc nous avons mis l’accent sur la formation de forces spéciales. Plusieurs unités de forces spéciales ont été formées grâce à la coopération internationale. Ensuite, au-delà, de la formation, il faut que ces forces spéciales soient équipées. Là également nous avons mis un accent sur l’équipement de nos forces de défense et de sécurité. En plus de l’équipement et de la formation, nous avons mis également l’accent sur les patrouilles pour que, à l’intérieur du pays et un peu partout qu’on sente la présence de l’État. Il est essentiel que dans quelque coin du pays que ça soit, qu’on sente la présence de l’État et c’est pour ça que pour nous le retour des populations dans leurs villages et dans leurs zones d’origine est une nécessité et nous mettons l’accent là-dessus. À chaque fois quand nous avons des populations qui fuient pour revenir dans les villes ou dans les grands centres, nous mettons l’accent sur la sécurisation de leurs zones afin de leur permettre d’y retourner. C’est ce qui s’est passé pour l’Anzourou, c’est ce qui s’est passé dans la zone du Lac-Tchad, dans la région de Diffa et c’est ce que nous faisons actuellement à Téra. Donc il n’y a pas de miracle pour pouvoir réussir cette mission. C’est d’abord l’anticipation, la préparation de nos hommes en effectifs, en armes et également en formation. En plus de ça, nous avons pris l’initiative de mutualiser nos forces avec les pays voisins. Si vous suivez l’actualité, vous verrez que dans la région du Lac-Tchad nous opérons en commun avec le Nigeria. Et également dans la région Ouest nous opérons aussi en commun avec le Burkina-Faso. Au-delà de la coopération avec les pays voisins, la coopération avec les pays amis sur le plan international nous a permis de former et d’équiper un grand nombre de nos forces spéciales. C’est notamment sans que je les cite de manière exhaustive, l’Allemagne, les États-Unis, la Belgique, l’Espagne, la France, etc.
Et pour anticiper toujours dans le sens de que je viens de dire, nous avons obtenu de l’Assemblée Nationale la possibilité que lorsqu’il parait nécessaire de recourir à l’appui d’une force étrangère qu’on puisse avoir cet appui dans le cadre des accords de coopération. Évidement ceci se déroule sous le commandement de nos forces armées, cela parce que nous voulons éviter qu’il y ait des éléments d’une puissance étrangère qui opèrent comme des électrons libres. Ils vont opérer à notre demande, de la façon dont nous le voulons et sous le commandement de nos chefs d’unités. Donc dans ce cadre, nous collaborons avec les pays amis dans le partage des informations parce qu’il est essentiel pour une force armée. Nous collaborons beaucoup aussi avec ces éléments dans le domaine de la couverture aérienne lorsque nous sommes en opération.
Le Premier ministre, l’autre question importante pour le gouvernement et pour les populations en général c’est l’éducation qui on le sait travers des moments difficile. Est-ce -qu’on peut dire aujourd’hui qu’il y a des progrès dans ce domaine? Est- ce- qu’il y a de réels espoirs pour le redressement de ce secteur?
Je rappelle que dans son discours d’investiture, le Président de la République avait affirmé qu’il fera de l’éducation une priorité au même titre que la sécurité. Dans ma Déclaration de Politique Général j’avais dit que l’axe ‘’Capital Humain’’ est un axe prioritaire pour lequel le gouvernement mettra beaucoup de moyens et portera une grande attention. Aujourd’hui quelles sont les problèmes de notre éducation ? Nous avons une insuffisance en infrastructure, nous avons une baisse de niveau et nous avons également un taux de rétention très faible. Et c’est l’ensemble de ces problèmes que nous sommes en train d’attaquer. En ce qui concerne les infrastructures, nous avons pris l’engagement que nous allons finir avec les classes en paillotte qui sont évaluées à plus de 30.000. Un programme sera mis en œuvre pour pouvoir mettre fin à ces classes en paillotte. D’ores et déjà, dès l’année 2022, plusieurs marchés sont en train d’être signés pour pouvoir commencer les constructions et remplacer ces classes-paillottes. Ce programme va continuer sur les années à venir.
En ce qui concerne la qualité, nous nous sommes dit que le premier élément de la qualité de l’enseignement, c’est l’enseignant lui-même. Si l’enseignent n’est pas de bonne qualité, il ne peut pas assurer un enseignement de qualité. Dans ce sens, nous avons pris la décision de relever le niveau d’entrée dans les écoles normales. Désormais l’entrée dans les écoles normales se fait avec le baccalauréat pour la formation des instituteurs. En plus de ça, nous avons mis l’accent sur le recyclage et la formation des enseignants qui sont actuellement en service. A cela s’ajoute la fidélisation de l’enseignant, en faisant en sorte que la carrière d’enseignant soit attractive. Et pour que la carrière soit attractive, il faut que progressivement on mette fin à la contractualisation en recrutant des enseignants des enseignants permanents. D’ores et déjà, au cours de l’année 2022, plus de 3.000 enseignants ont été recrutés comme enseignants permanents et le processus va se poursuivre.
En ce qui concerne toujours l’amélioration de la qualité de l’enseignement et la rétention à l’école, nous avions un gros problème avec la scolarité des jeunes filles qui abandonnent l’école très tôt. L’une des raisons c’est l’absence de tuteur lorsqu’elles quittent leurs familles en ce qui concerne les collèges ruraux pour aller en ville ou dans les gros villages où se trouve l’établissement scolaire. Dans ce sens nous avons initié la politique d’internat pour les jeunes filles. Déjà un certains nombres d’internats pilotes sont ouverts. Vous avez vu celui de Kellé, celui de Moudjia pour ne citer que ces deux. Au cours de l’année 2023, beaucoup d’autres internats vont être ouverts puisque nous avons lancé un appel à la communauté internationale et d’ores et déjà il est annoncé le financement d’une centaine d’internats dans les collèges ruraux pour les jeunes filles. De cette manière nous allons améliorer le taux de rétention des jeunes filles à l’école ; retarder leur âge de mariage et éviter les grossesses précoces. Par la même occasion nous faisons d’une pierre deux coups. En effet, cette politique nous permettra d’agir sur la démographie dans notre pays qui connaît un taux de croissance qui est considéré comme l’un des plus élevés du monde du fait avec aussi un taux de fécondité tout aussi élevé. Voilà un peu ce que nous faisons en ce qui concerne l’éducation. Bien entendu à cela s’ajoute l’accent particulier pour l’enseignement supérieur pour lequel nous donnons les moyens nécessaires. Nous envisageons la construction des amphithéâtres et les infrastructures qu’il faut. D’ores et déjà, nous avons pris la décision d’augmenter le nombre d’enseignants en recrutant plus de 170 nouveaux enseignants chercheurs dans le secteur de l’enseignement supérieur.
Monsieur le Premier ministre, le 1er semestre de l’année 2022 a vu ce qu’on a appelé la crise de gasoil. Certains pensent que le gouvernement n’a pas fait montre de prévoyance du moment où le Niger est un pays producteur du pétrole et que l’augmentation des prix décidée par le gouvernement n’est pas justifiée. Aujourd’hui peut-on dire que cette parenthèse est définitivement fermée et que les objectifs visés sont atteints ?
L’augmentation des prix des produits pétroliers est un phénomène mondial, il ne concerne pas que le Niger. C’est un phénomène mondial qui a deux origines. La première origine, c’est la guerre entre la Russie et l’Ukraine. La Russie étant un grand producteur et exportateur des produits pétroliers. Et donc avec l’embargo que les pays européens ont mis sur la Russie, cela s’est évidemment traduit par une réduction des quantités qui sont mises en vente sur le marché et par conséquent l’augmentation des prix. L’autre aspect aussi, c’est la hausse du dollar. Aujourd’hui à l’heure que je vous parle, le dollar est 700 FCFA alors qu’il était autour de 600 FCFA il y a quelques mois. Donc, de façon mécanique déjà, il y a l’augmentation des prix des produits pétroliers. La conséquence pour ce qui concerne le Niger, c’est que nous sommes victimes de la fraude et de l’exportation frauduleuse de nos produits en direction des pays voisins au moment où nos prix ne sont pas augmentés. Lorsque le litre du gaz oïl est à 450FCFA au Niger et à 700F au Nigéria, évidement avec plus 1500 km de frontière, vous pouvez imaginer ce qui peut arriver. Donc cette différence des prix pratiqués au Niger et dans les pays voisins a entrainé des sorties massives des produits pétroliers de notre pays vers les autres pays.
Nous avons essayé à travers les services douaniers, à travers la police, la gendarmerie et autres structures de contrôle de juguler cette fraude, cela n’a pas été possible. Cela s’est traduit par des pénuries parce que d’un seul coup l’augmentation de la consommation interne du Niger est devenue faramineuse. En un rien de temps on a doublé les quantités qu’on consommait et on se demandait comment ça se fait ? La raison fondamentale, c’est cette sortie frauduleuse des carburants. Nous avons essayé comme je l’ai dit de contrôler par tous les moyens mais vous connaissez comment sont les circuits informels. Et on est arrivé dans une situation où nous manquons du gaz oïl. Nous avons même interdit l’exportation officielle du gaz oïl vers les pays voisins pour pouvoir alimenter notre marché mais cela n’a pas suffi. On s’est trouvé dans des situations des pénuries et des ruptures des stocks. La seule solution était de relever le prix du gaz oïl pour être au moins au même niveau que un ou deux pays voisins notamment le bénin et le Burkina Faso. Cela a été très positif. D’abord cela nous permis de protéger notre marché, nous avons réussi à juguler les ruptures des stocks, à augmenter notre stock de sécurité qui, au départ, était à peine de cinq jours. Maintenant nous sommes à, au moins, à trente jours. Nous avions dans notre calendrier l’arrêt programmé de la SORAZ pour entretien. Mais si nous n’avons pas de stocks comment est-ce que nous allons faire lorsque SORAZ va s’arrêter pour deux mois ? En plus de notre stock, nous avons, avec les économies qui ont été réalisées, la possibilité d’importer encore du gaz oïl pour pouvoir gérer la situation lorsque la SORAZ sera à l’arrêt.
L’augmentation du prix du gaz oïl a eu une autre conséquence positive, c’est celle de pouvoir assurer la production de l’énergie électrique. En nous n’aurions pas u maintenir le prix du kilowatt si la Centrale de Gourou Banda et celle de Goudel, fonctionnaient avec un gaz oïl au prix du marché. Nous sommes obligés de subventionner le gaz oïl pour qu’on puisse stabiliser le prix de l’électricité. Vous avez vu que malgré tout ce qu’il y a eu comme crise, il n’y a pas d’augmentation du prix d’électricité au Niger. Cela est lié aux efforts que nous avons faits dans ce domaine. Indépendamment de cela, nous avons le gaz qui est aujourd’hui entré dans les habitudes domestiques de nos consommateurs et la production du gaz par la SORAZ est même devenue insuffisante. Nous sommes obligés d’importer pour pouvoir faire le complément. Or, lorsque vous importez le gaz, vous l’importez 1070FCFA le kilo et on le revend aux distributeurs à 120 FCFA le kilo. Donc imaginez le volume de subvention qu’il faut. Si nous n’avions pas une marge qui nous permette de subventionner le gaz, comment nous allons faire ? Donc, les économies réalisées sur le gaz oïl nous permettent d’assurer les importations lorsque la SORAZ sera à l’arrêt, de continuer à subventionner le gaz dont les prix sont actuellement extrêmement élevés et également de sécuriser le marché national en assurant un approvisionnement régulier et en évitant les pénuries.
Du reste lorsque nous avions engagé les concertations avec les différents acteurs économiques concernés, les transporteurs et autres consommateurs nous ont dit que leur priorité, c’est que on évite les pénuries. Ce n’est n’est pas le prix. Ce qui est juste puisqu’il s’agit du transport international. En effet, lorsqu’ils vont à Cotonou, à Lomé ou à Abidjan, ils achètent le gaz oïl à un prix élevé. Donc le fait qu’ils arrivent au Niger et qu’ils l’achète au même prix qu’au Bénin, en Côte d’Ivoire ou au Ghana, cela ne doit pas induire une augmentation des prix des marchandises qu’ils transportent puisque ils ont déjà internalisé l’augmentation du prix du gaz oïl qui est devenue internationale. Par contre, lorsqu’il y a pénurie, et même si le prix n’est pas augmenté officiellement, sur le marché noir il va augmenter. Donc les transporteurs seraient obligés de s’approvisionner au marché noir où le prix peut effectivement être supérieur même à l’augmentation de 130FCFA que nous avions annoncée. Nous avons aussi pris les dispositions pour que le prix de l’essence ne change pas. Là vous pouvez constater que dans tous les pays de la sous- régions, à part le Nigéria, le prix a augmenté. Au Nigeria, le prix de l’essence est plus compétitif que celui de tous les autres pays parce que nous tenons à assurer la sécurité de nos consommateurs et parce que nous savons que ce qui intéresse le plus grand nombre de nos consommateurs, c’est le prix de l’essence plus que le prix du gaz oïl. Cela a été très bénéfique et cela a été très bien géré. Aujourd’hui, nous sommes fiers de pouvoir avoir un stock de sécurité de gaz oïl.
Le Premier ministre, vous avez annoncé le 28 septembre dernier, lors des journées du Conseil national de la recherche agronomique (CNRA), que la campagne s’annonce prometteuse. Quelles ont été les mesures prises par le gouvernement pour aboutir à ces résultats qui s’annoncent bien? Et en votre qualité du président du CNRA qu’est-ce que le gouvernement est en train de faire pour moderniser l’agriculture?
Vous vous rappelez que nous sortions d’une campagne agricole (2020-2021) fortement déficitaire avec un déficit annoncé qui tournait autour de 40%. Face donc à cette situation, nous avions essayé d’aider nos producteurs dans le cadre de la campagne 2022 à travers notamment le Plan de soutien adopté par le gouvernement. Cet appui vise premièrement à permettre aux producteurs d’avoir les semences appropriées. Deuxièmement, il s’agit de leur permettre, en cas d’attaques d’ennemis de cultures, de sauver leurs productions parce que nous avons un stock de produits phytosanitaires. Ensuite, il fallait leur permettre d’avoir l’accès aux engrais lorsqu’ils ont besoin d’amender leur sol.
Toutes ces mesures ont été prises par anticipation, c’est à dire bien avant le démarrage de la campagne. Et aujourd’hui, tout le monde est unanime pour dire que la préparation de cette campagne est l’une des meilleures que notre pays ait réalisée parce que les semences et les produits phytosanitaires ont été mis en place à temps. Et avec la libéralisation du marché de l’engrais, le produit était disponible à temps.
Mais, il faut savoir comment sortir de cette situation de dépendance de la pluviométrie. Et nous avons une politique agricole qui s’appelle l’Initiative 3N dont le premier objectif est, au moins, de permettre à ce que les Nigériens nourrissent les Nigériens. Mais notre objectif va même au delà, nous voulons même nourrir les non Nigériens. Et pour y parvenir, il faut moderniser notre agriculture. Cette modernisation passe d’abord par la modernisation des techniques agricoles notamment la maîtrise de l’eau. Ainsi au lieu de compter sur les pluies qui sont souvent aléatoires, nous voulons encourager les producteurs à faire une agriculture domestiquée et d’année en année nous allons augmenter le nombre de barrages, de seuils d’épandage et celui de périmètres irrigués. A cela, s’ajoute l’incitation à une culture mécanisée et à l’amélioration des espèces végétales. C’est dans ce sens que ce que nous faisons avec les chercheurs est fondamental. Nous avons des recherches sur plusieurs variétés de cultures tant pour les céréales que pour les cultures de rente comme l’oignon, le niébé. Les chercheurs sont à pied d’œuvre pour nous trouver des variétés qui résistent à la sécheresse et des variétés plus productives. Les résultats qui nous ont été présentés à l’occasion de ces journées de la recherche agronomique sont assez impressionnants. Donc avec la mise en œuvre de l’Initiative 3N nous sommes sûrs que le Niger sera au rendez-vous de la ZLECAf et qu’il pourra lui-même exporter des produits agricoles.
L’axe 7 de la Déclaration de Politique Générale du gouvernement (PDG) traite notamment de la solidarité nationale. Et ces derniers temps, les populations ont fait face à divers chocs (climatique, sécuritaire, humanitaire, etc); Quelles sont les réponses apportées par le gouvernement pour atténuer l’impact de ces chocs et aider les populations à se relever?
Lorsqu’on a annoncé un déficit de 40% de la production agricole de l’année dernière avec une estimation de deux millions et demi de personnes en situation de vulnérabilité extrême et plus de quatre millions en situation de vulnérabilité modéré, tout le monde se posait la question de savoir comment est-ce que nous pouvons faire face à cette situation. Donc immédiatement dès le mois de novembre 2021, nous avons mis en place un plan urgence estimée à 160 milliards de FCFA qui a été suivi d’un plan de soutien dès le mois de mars estimé à 280 milliards de FCFA. A travers ce plan de soutien et ce plan urgence alliée au plan d’action d’aide humanitaire de nos partenaires, nous avons pu faire face à la situation. Qu’est-ce que nous avons entrepris comme action ?
Premièrement, nous avons lancé les ventes à prix modérés dès le mois de février et elles ont été régulières jusqu’au mois de septembre. Au total, c’est 110.000 tonnes de céréales que nous avons vendu à prix modéré. Ce qui a permis de casser les prix et d’assurer l’approvisionnement des marchés. Il n’y a eu aucune pénurie, aucune rupture de stocks sur l’ensemble de la période. Deuxièmement, nous avons initié les distributions gratuites et ciblées dans les zones où l’approvisionnement est difficile, où les populations sont extrêmement vulnérables et où elles n’ont pas les moyens de pouvoir s’acheter les produits. Ensuite, nous avions ce que nous appelons les distributions de cash transfert que nous faisons à travers un projet appelé ‘’Filets sociaux’’. Dans le cadre de cette distribution de cash transfert où on cible les familles les plus vulnérables à l’intérieur des villages, nous avons distribué au moins 7 milliards de Franc CFA. A cela s’ajoutent les ventes à prix modérés d’aliments de bétail. Là également, c’est 80.000 tonnes d’aliments bétail qui ont été mises sur le marché pour permettre aux populations de sauver leur cheptel parce que le déficit fourrager annoncé était extrêmement important. Compte tenu de toutes ces mesures, nous avons réussi là où tout le monde pensait que ça aller être la catastrophe. L’axe 7 dont vous parlez a été celui qui a fait le plus de réussite au cours de ce semestre parce que le taux de réalisation dépasse les 60% comparé aux autres secteurs où on tourne de 30% ou 40.
Sur le plan de la gouvernance politique, la reprise du dialogue entre les différents acteurs politiques, lors de la récente réunion du Conseil National du Dialogue Politique (CNDP) a été unanimement saluée. Etes-vous satisfait de ces retrouvailles et des échanges qui en ont en découlé ? Quelle suite le gouvernement entend donner à cette dynamique de dialogue avec l’opposition politique ?
Le dialogue politique a été annoncé au nombre des priorités par le Président de la République dans son discours d’investiture, et également dans ma Déclaration de Politique Générale. Nous voulons améliorer le dialogue politique de manière générale. Notre objectif est de faire de notre pays un Etat démocratique, stable et fort ; fort parce que les acteurs s’entendent bien, parce que l’Etat est en mesure d’assurer la sécurité, et parce que toutes les institutions démocratiques fonctionnent normalement. Dans ce sens, c’est une grande priorité pour nous. En 2021, nous n’avions pas pu réunir l’organe de dialogue politique qu’on appelle le CNDP (Conseil Nationale du Diadoque Politique) parce que, comme vous le savez, nous avions des actions judiciaires en cours où certains candidats contestaient la victoire du Président de la République. Aussi, nous avons dit que nous n’allons pas convoquer une réunion du CNDP où certains acteurs vont dire qu’il y un problème quant à définir qui est l’opposition et qui est la majorité.
Et lorsque tous ces cas ont été épuisés, nous avons estimé que maintenant que la situation est normalisée, nous pouvons donc convoquer le Conseil National du Diadoque Politique, et c’est ce que nous avons fait. A travers la convocation de ce conseil de dialogue politique, nous voulons amener les acteurs à regarder dans le même sens sur les questions essentielles qui concernent la vie de notre nation. Au cours de cette première réunion, nous avons abordé deux sujets importants. Le premier point concerne l’élection des Nigériens de la diaspora afin de compléter le processus électoral qui a été engagé, en faisant en sorte que les députés de la diaspora puissent être aussi élus avec l’accord et le consensus de tous afin de ne pas déboucher à des élections contestables. Le deuxième point porte sur la question de la sécurité qui est un aspect fondamental pour notre pays. Nous ne pouvons pas accepter qu’on joue avec la sécurité ; ce n’est pas un thème pour lequel, parce qu’on est de l’opposition, on peut faire du marchandage ou du populisme. Aujourd’hui, tout le monde doit soutenir nos forces de défense et de sécurité, et le gouvernement dans le combat qu’il mène pour que tous les Nigériens puissent vivre en sécurité et dans la paix. Cette réunion du CNDP a permis de déboucher à une déclaration dans ce sens-là.
La normalisation des rapports avec l’opposition ne s’arrête pas seulement au Conseil National du Diadoque Politique. Nous avons une loi qui définit le statut de l’opposition, et cette loi avait prévu qu’il ait un leader de l’opposition qui est le responsable du parti ayant le plus grand nombre de députés de l’opposition. Nous avons tenu à ce que cette loi soit appliquée correctement, et dans ce sens un leader de l’opposition politique a été nommé. Et lorsque nous avons constaté que cette loi accusait quelques insuffisances, sachant qu’il ne suffit pas de nommer le chef de file de l’opposition, il faut aussi lui donner des moyens d’action, nous avons alors apporté des correctifs pour qu’il puisse disposer d’un cabinet et d’un budget lui permettant de fonctionner normalement.
Aujourd’hui, ce leader de l’opposition est reçu par le Président de la République et par le Premier ministre ; il a la possibilité de venir vers des institutions étatiques, soumettre les préoccupations de l’opposition par rapport à la marche de l’Etat. Donc, pour nous, c’est fondamental et nous allons continuer dans ce sens, car le dialogue politique, c’est un aspect important dans la marche de la démocratie.
On observe également une accalmie sur le front social. Quel est le secret de cette stabilité sociale retrouvée, et comment se présentent vos rapports avec les partenaires sociaux ?
Il faut dire que, de la même façon que nous voulons un dialogue permanant et franc avec l’opposition, nous voulons aussi instaurer un dialogue permanant et franc avec les structures syndicales. Le Président de la République, lui-même, a donné le ton de cette volonté de dialogue en recevant directement les représentants des structures syndicales, et il les a rassurés de sa disponibilité à régler tous les problèmes à travers le dialogue. Nous avons au niveau de l’Etat un certain nombre d’organes de dialogue dont le Conseil national du travail, le Conseil national du dialogue social, le Comité interministériel de négociation qui examine le cahier des doléances que les travailleurs annoncent chaque fête du 1er Mai, et nous avons fait en sorte que tous ces organes fonctionnent normalement.
Le conseil national du travail est présidé par un ministre, nous avons tenu des réunions régulières et tous les points inscrits à l’ordre du jour de ce conseil font l’objet d’un suivi et d’un traitement diligent. De même, lorsqu’il apparait nécessaire que les structures syndicales soient reçues par rapport à des préoccupations qu’elles ont avec leurs responsables, nous sommes tout à fait ouverts à les recevoir, et très souvent on arrive à des très bonnes conclusions à travers le dialogue.
Donc, ainsi que je l’ai dit, nous nous inscrivons dans une perspective de dialogue permanent. Nous avons un pays fragile, un pays qui a besoin que tout le monde se mette au travail. Vous avez vu que par le passé, quand on parlait d’indice de développement humain, on dit toujours que le Niger est le dernier ; aujourd’hui, nous avons fait d’énormes progrès et nous sommes en train d’avancer. Nous ne sommes plus le dernier, ni l’avant dernier, nous avons un rang supérieur qui va d’ailleurs s’améliorer car l’un des points qui nous handicapaient était l’éducation, et avec les actions que nous sommes en train d’engager dans ce domaine le rang du Niger va davantage s’améliorer en matière d’indice de développement humain. Et par rapport à cela nous avons besoin de la paix, en termes de sécurité, de dialogue avec la classe politique et avec les syndicats, pour que tout le monde se mette au travail.
Interview réalisée par Siradji Sanda, Ibrahim Alio et Elh. M. Souleymane
Script : ONEP