Penser qu’il suffit d’un simple changement de partenaires, quel qu’il soit, pour régler définitivement la crise multidimensionnelle et endémique que connaît le Sahel n’est pas une simple erreur d’appréciation, c’est une aventure sans lendemain. Et une vraie imposture.
Certains se trompent de bonne foi : pris dans le tourbillon de la crise sahélienne, ils en sont arrivés à penser que le remplacement de la France par la Russie serait la solution. A ceux-là, on peut accorder l’excuse de l’ignorance. D’autres, en revanche, font feu de tout bois en toute connaissance de cause, défendant la thèse hasardeuse et erronée, à dessein, d’une arrivée salvatrice de la Russie au Sahel, en remplacement de tous les autres partenaires. Il n’y a qu’à analyser les principaux facteurs d’embrigadement dans les groupes terroristes du Sahel pour se convaincre que la vraie solution à la crise n’est pas un simple jeu de chaises musicales dans lequel Moscou remplacerait Paris, et le tour serait joué. Disons-le clairement à ceux qui fantasment d’une solution clé à la main à la crise sahélienne livrée par Moscou : au mieux la Russie apportera des hélicoptères de combats et de transports de troupes, des munitions et quelques autres équipements militaires. Cette offre sécuritaire et militaire ne changera pas la donne. Elle sera d’autant moins efficace qu’elle repose sur la stratégie du tout militaire et sécuritaire, celle-là même dont nous pleurons aujourd’hui l’échec.
Défi d’endogénisation
Depuis plusieurs années, les deux grandes enseignes terroristes au Sahel, l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), ont compris le grand intérêt qu’elles pourraient tirer du recrutement dans les communautés locales sahéliennes. Ainsi, les Sahéliens sont désormais chefs de katibas et fantassins dans les groupes armés terroristes. Outre les figures emblématiques telles que les Maliens Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa du GSIM, le Burkinabé Djafarou Dicko de Ansarul Islam, les chefs terroristes dans la bande des trois frontières s’appellent Doundou Cheffou dit petit Chaffori, Boubacar Bello ou Salifou Maman et Djibo Karimou. Tous des Nigériens de la région de Tillabery. L’accélération de cette endogénisation a été facilitée et nourrie par le contexte de pauvreté. On ne voit pas comment l’offre russe purement sécuritaire et militaire pourrait permettre de prendre en charge avec efficacité ce phénomène.
Nouveau paradigme
Derrière cet état des lieux sans complaisance de la crise sahélienne, apparaît la conviction définitive que la réponse, pour qu’elle ait la moindre chance d’être efficace et durable, doit être être holistique. Il est donc indispensable d’actionner en même temps plusieurs leviers pour amorcer une sortie de crise : ce que la Russie ne sera pas en mesure d’offrir aux pays sahéliens. Surtout dans le contexte international actuel qui lui impose de s’occuper de son propre agenda et de ses propres urgences.
Le sécuritaire et le militaire sont certes nécessaires mais pas suffisants. Il faut d’abord leur ajouter le développement axé sur la garantie d’accès des populations sahéliennes aux services sociaux essentiels, notamment la continuité du fonctionnement des centres de santé et des écoles. Un travail indispensable qu’assure l’Agence française de développement (AFD), en collaboration avec la Haute autorité à la consolidation de la paix (HACP), dans la région de Tillabery, nord-ouest du Niger, en finançant la construction des forages au profit des populations.
Un des principaux enjeux de cette réponse holistique sera la mobilisation pour la création d’emplois pour les jeunes afin de les aider à résister aux sirènes des groupes djihadistes. Au Sahel, le défi sécuritaire se conjugue par ailleurs avec les effets du changement climatique. Selon la Banque mondiale, près de 13,5 millions de Sahéliens supplémentaires pourraient d’ici à 2050 basculer dans la pauvreté, si rien n’est fait en matière d’adaptation au changement climatique. La réponse à la crise doit donc intégrer la dimension écologique et environnementale. Tant la question de la raréfaction des ressources et de la pression démographique est devenue importante dans la région. S’y ajouteront la présence de l’Etat, la nécessité d’une gouvernance plus vertueuse et la fin de l’impunité.
Stratégie régionale
Mais pour être efficace, la réponse holistique devra prendre en compte la dimension transnationale de la crise. Il ne fait aujourd’hui guère de doute qu’aucun pays sahélien pris isolément ne peut faire face à la crise sécuritaire. Alors que ce constat semble être devenu une évidence aux yeux des observateurs avisés, les avocats du remplacement des autres partenaires par la Russie défendent l’idée du chacun pour soi. En effet, dans sa stratégie russophile, le Mali n’a pas vocation à coopérer avec son voisin nigérien. Pire qu’une erreur d’appréciation, ce jugement est une faute. Les mêmes vilipendent une organisation comme le G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) au motif qu’elle serait à la solde de la France. Autre grave sortie de route !
Toute réponse à la crise sahélienne crédible et efficace doit être globale, transnationale. Il s’agit d’associer le sécuritaire et le militaire au développement, à la bonne gouvernance ainsi qu’à la fin de l’impunité et à la présence effective de l’Etat. Une stratégie et un nouveau paradigme que l’offre russe au Sahel ne permet pas de bâtir.
Seidik Abba
Journaliste-Ecrivain. Auteur de Mali/Sahel : Notre Afghanistan à nous ?